Mystery Men
5.9
Mystery Men

Film de Kinka Usher (1999)

L’histoire du cinéma a-t-elle le culte dur pour les (super) héros ? 1999. Captain America n’a pas encore décongelé, Tony Stark n’a pas encore réglé ses problèmes de toxicomanie et Peter Parker n’est encore qu’un adolescent comme les autres : autrement dit, les héros n’ont pas encore fait le plein de super. Et pour cause, la mode n’est pas aux pierres d’infinités et aux armures tout équipées. En 1999, on bavasse encore autour du cigare baladeur de Clinton quand sort MYSTERY MEN dans les salles obscures. Et au lieu de faire « boom », le film fait « flop ». Injustement. A qui la faute ? A un sujet en avance sur son temps ? A une sortie éclipsée par Le Projet Blair Witch ? A un film qui n’a pas su trouver son public ? Si MYSTERY MEN rate le coche, c’est avant tout parce qu’il n’est attendu par personne ; la faute à un genre tombé en désuétude avant même qu’il ne connaisse ses heures de gloire. Quelques années auparavant, Joel Schumacher avait ainsi laissé sa marque – indélébile – sur le chevalier noir en éconduisant la franchise directement dans une plantation de navets. Adieu l’esthétique gothique de Burton, bonjour l’outrance édulcorée de Batman & Robin. Mais ne rejetons pas la faute sur ce pauvre Schumacher. Car les années 90 n’ont clairement pas fait du bien au genre : entre Spawn et Tank Girl, entre Power Rangers, le film et Inspecteur Gadget, la fantaisie héroïque se pare d’une esthétique du « trop-plein » où les idées farfelues se mêlent bien souvent à la mise en image de (mauvais) trips sous LSD. Et MYSTERY MEN dans tout ça ? S’inscrit-il dans cette mouvance clownesque ? Ou est-il bien plus qu’un simple produit chaotique à mater masque sur les yeux, cape sur le dos ?


Car c’est quoi au juste ce MYSTERY MEN ? Un maelstrom de collants et de stéréotypes ? Une apologie de l’interventionnisme américain et du moule-bite ? Que nenni. Point de pectoraux musclés et de gainage d’abdos fessiers dans ce film où les super-héros tiennent plus des Village People que des Avengers. Rien d’autre qu’une belle bande de quidams, quelques bougres qui tentent d’échapper un peu au réel en s’inventant une vie de justiciers. L’identification est facile, les personnages consistants : un héros colérique dont la fureur peine à le transformer en Hulk, un pétomane à gages dont les flatulences ne manquent jamais leurs cibles, un spécialiste du roulement de pelle, un expert du lancer d’argenterie, un homme invisible seulement quand personne ne le regarde et une championne de bowling qui ne manque jamais de faire strike avec sa boule ensorcelée. Des héros qui doivent composer avec des pouvoirs inexistants ou inutiles dans leur lutte contre le crime, voilà donc le programme de ce film symptomatique d’une époque qui met en valeur ses supers zéros.


Adaptation libre du comic Flaming Carrot de Bob Burden, MYSTERY MEN ne doit sûrement son existence qu’à une bande d’exécutifs aveugles ; inconscients de la mouscaille dans laquelle ils mettaient les pieds. Mais il est parfois salutaire de se la jouer Werner Herzog en hissant un beau film bateau en haut d’une montagne avant qu’il ne se brise sur l’autre versant. Tablant sur une fanbase de niche, MYSTERY MEN était-il cet échec annoncé ? D’une certaine manière, oui. Marvel est sur le point de fermer boutique quand le film entre en production : en 1999, les super-héros semblent avoir définitivement rangé leur costume pour pointer à Pôle Emploi. Plutôt Deudeuche que Bugatti, l’écurie Marvel n’a pas encore assez de chevaux sous le capot. Et outre le naufrage Batman & Robin, les spectateurs ne semblent plus réceptifs à ce cinéma de collants et de poncifs. Qu’importe la conjoncture, on injecte un beau paquet de liquidités (68 millions de dollars) dans un film qui se révélera tout sauf bankable, passé de mode avant même que la mode s’impose. Et même si en 1999 le cinéma est davantage porté sur une matrice et le retour de quelques Jedi, le bide en salles n’empêchera pas MYSTERY MEN de connaître un succès tardif quelques années plus tard ; à une époque où les X-Men et un homme araignée voient leur côte de popularité revue à la hausse.


Pur produit de son époque, MYSTERY MEN s’impose avant tout comme un constat rétrospectif d’un genre parti à la dérive. Une interrogation semble justifier son existence : comment déconstruire les codes d’un genre au bord du gouffre ? En le revitalisant par la satire, bien évidemment. Le concept n’est pas nouveau : Mel Brooks ou les ZAZ avaient déjà imposé cet humour référencé dans des revisites parodiques de films genrés (films catastrophe, d’espionnage, d’action, de guerre ou même de science-fiction) devenus eux-mêmes des références dans leur genre. MYSTERY MEN s’inspire davantage de la formule Austin Powers qui, deux ans auparavant, avait pastiché le film d’espionnage à la James Bond – période Swinging London – en mettant en scène un agent anglais aux dents pourries, aussi inefficace que déjanté. Yeeeeeah, Baby ! Ici, l’improbable déconstruction du genre passe évidemment par les caractérisations grotesques des personnages : outre la ligue des justiciers ordinaires, on retrouve Casanova Frankenstein, super-méchant à l’accent bavarois – issu d’un croisement entre raffinement et pourriture – au nom tout aussi chiadé que ses ongles ; Capitaine Admirable, superman égocentrique aussi faillible et clinquant que son costume sponsorisé ; les Disco boys, vilains sbires qui rêvent d’un retour aux fièvres des samedis soir ; ou encore le docteur Heller, tombeur de vieilles dames et fabricant d’armes « non-létales ». Un magnifique assemblage de paradoxes où l’ironie n’est malheureusement jamais aussi cinglante qu’attendu. En un sens, MYSTERY MEN annonçait déjà les aventures comico-spatiales d’un Galaxy Quest et les variations dérangées du super-héros que peuvent être Kick-Ass, Super, Defendor ou la série The Boys.


Mais dans cette logique caricaturale, MYSTERY MEN est bien plus qu’une parodie bon enfant : il est surtout un hommage régressif et touchant au genre « super-héroïque ». Il n’est ainsi plus seulement question de tourner en ridicule un imaginaire ; mais de le déstructurer légèrement pour le recentrer sur des enjeux plus humains. Il y a ainsi dans MYSTERY MEN une telle sincérité que l’entreprise parodique ne l’est jamais vraiment. Un peu le cul entre deux chaises, le film s’enlise ainsi parfois dans cette hésitation entre positionnement satirique et droiture de la démarche. Éloge de la normalité, de l’héroïsme à l’épreuve du réel, MYSTERY MEN utilise surtout sa structure usée et conventionnelle pour faire la part belle à ses personnages. Kinka Usher filme ainsi ses héros perdus – ses losers magnifiés – avec beaucoup d’empathie (et de gros plans) ; jusqu’à faire jaillir cette petite étincelle, cette fragilité enfouie dans ces êtres qui doutent, cette mélancolie issue de cette « working class » qui se dévoue tout entier à sa soif de justice. Et même si MYSTERY MEN est aussi inoffensif qu'une cuillère, il lui arrive parfois de dégainer sec pour nous proposer un spectacle à la hauteur de nos attentes.


Esthétique préfabriquée, couleurs acidulées, imaginaire débridé, il y a quelque chose d’ébouriffant, de bordélique, d’indiscipliné dans ce film qui n’a pas peur de ses excès. On entre ainsi dans MYSTERY MEN comme on entrerait dans un Blade Runner shooté par Schumacher. Autant dire que la direction artistique est en totale roue libre. Même si la réalisation fut un temps destinée à Danny De Vito ou Ben Stiller, c’est à Kinka Usher, réalisateur jusque-là confiné aux clips et publicités, que nous devons cette mise en scène aussi ludique que foisonnante. Taco Bell ou MYSTERY MEN, qu’importe, le même élan créatif est là : il adopte ainsi une approche résolument dynamique, privilégiant mouvement et irréalisme dans une œuvre qui épouse parfaitement l’imaginaire de sa fiction. Usher s’amuse vraiment derrière la caméra, utilisant par exemple des plans subjectifs pour fluidifier l'éternelle rengaine du champ / contrechamp. L’usage presque constant du grand-angle tend alors à créer ces effets de vignette, enfermant les personnages dans leur environnement tout en accentuant l’étrangeté de cet univers alternatif. Tel un Metropolis biberonné aux clips des Spice Girls et d’Aqua, MYSTERY MEN jongle entre les VFX datés et une esthétique aussi baroque que (sur)chargée : psychédélique et frénétique, il ne se refuse rien et plonge tête baissée dans son surréalisme de cour de récré. Le Scooby Doo de Raja Gosnell lui doit sans doute beaucoup.


Aucun répit n’est ainsi laissé au spectateur. Au détour d’un barbecue héroïque ou d’un rassemblement maléfique, on en vient même à croiser quelques têtes familières, qu’il s’agisse de Doug Jones ou de Michael Bay. Et le casting n’est pas pour rien dans la réussite de MYSTERY MEN. William H. Macy, attachant au possible, impose sa fragilité presque maladroite à ce personnage aussi solide que faillible ; rappelant ainsi ses interprétations dans Fargo ou Magnolia. Hank Azaria, Ben Stiller, Paul Reubens, Claire Forlani, Jeaneane Garofalo, Wes Studi, Geoffrey Rush, Tom Waits, Lena Olin, Eddie Izzard, tous s’investissent à 200% dans leur rôle afin de leur donner une épaisseur, une authenticité, une présence tangible. Leur cabotinage révèle ainsi souvent le cœur de leur personnage. Car MYSTERY MEN a le cœur aussi gros qu’un bateau de croisière. D’une action à l’autre, d’un lancer de fourchette à un coup de pelle, les héros gagnent en tendresse ce qu’ils perdent en cynisme. Ils font alors le choix de transcender l’ordinaire et de se rendre eux-mêmes extraordinaires. Car au fond, ce sont juste de grands rêveurs, de grands joueurs, de grands enfants qui cherchent dans leur alter ego héroïque une raison d’exister. Peut-être un peu trop enfantin pour véritablement buriner notre esprit, MYSTERY MEN reste un divertissement effréné où le rocambolesque s’allie parfaitement à la candeur de ces aspirants super-héros.


MYSTERY MEN, un film « non-mortel » ? On n’en est pas loin. Foutraque, le film l’est. Mais s’il est si malléable, si brouillon, si découpé, c'est qu'il n'a pas la solidité attendue au niveau de son scénario : 170 pages au bout de la 12ème version du script, près de 5 heures de film dans un premier montage, des scènes importantes à couper pour fluidifier l'action et la narration ; autant dire qu’il ne reste qu’une intrigue un peu lâche, un peu facile et désordonnée où l'univers individuel de chaque personnage est sacrifié au profit du groupe et de leur action héroïque. L’union fait ainsi la force dans cette œuvre où la complémentarité est la clé du succès. Succès relatif quand on pense au destin qu’a connu le film. Car MYSTERY MEN fut aussi un cadeau empoisonné pour son réalisateur ; parfaite illustration d’une trajectoire pyramidale, d’un one shot qui renverra Kinka Usher à son domaine de prédilection : la pub. Passer d’un blockbuster à une Volvo ; autant dire que le déclassement fait mal.


Super zéro ou super bien ? Au final, MYSTERY MEN est un peu à l’image de ses héros non extraordinaires : pas de pouvoir mais beaucoup de cœur à l’ouvrage. Ainsi, il a beau avoir les meilleures intentions du monde et cette volonté de combattre la monotonie du quotidien, il n’a cependant pas les facultés nécessaires pour sublimer sa singulière banalité. Quelques élans absurdes viennent néanmoins transcender ce conformisme pour orienter le film vers des horizons plus atypiques. L’humour, quant à lui, fait souvent mouche : on esquisse parfois un sourire qui tient plus de la sympathie que d'une véritable réussite comique. Festival du grand n’importe quoi, MYSTERY MEN acquiert alors une cohérence dans cette démesure de chaque instant. Encore faut-il emprunter les bons tuyaux pour ne pas finir en eau de boudin dans les improbables égouts de « Nanar City » aux côtés d’un plombier moustachu en salopette rouge. Une loufoquerie pleine de charme donc, dont l’étrangeté ne manquera pas d’attirer de nouveaux fidèles. Laissons ainsi le dernier mot à la sagesse du Sphinx : « You'll never shine if you don't glow ». A moins que ces sages paroles ne soient celles d’une chanson plus célèbre que le film dont elle est issue ; et que le commun des mortels attribue bien souvent à un ogre vert. All Star ? Non, simplement un film-étoile qui cherche à retrouver son rayonnement.


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blacktide
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le 7 sept. 2020

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