Critique originellement publiée sur Filmosphere.com le 15/09/2015.
Ça n’était sûrement qu’une question de temps avant que le groupe culte N.W.A. ne passe à la moulinette du biopic, inévitable machine à succès commerciaux qui, une fois de plus, fait ses preuves, vu le succès outre-Atlantique du nouveau film de Felix Gary Gray. Portrait hagiographique au possible, au point d’en devenir parfois fort générique, N.W.A. – Straight Outta Compton n’est qu’une plate transposition de la success story du groupe. Sans être toutefois désagréable ni franchement raté, il laisse pourtant l’amère sensation d’un film qui passe à côté de son sujet pour devenir un long spot promotionnel de deux heures vingt.
De prime abord, il faut peut-être se demander ce que l’on pouvait espérer d’une telle adaptation, notamment co-produite par Dr. Dre et Ice Cube eux-mêmes, et réalisée par l’honnête faiseur F. Gary Gray, qui n’est pas non plus le cinéaste le plus débordant d’idées ou d’audace. Les uns pourront dire formaté, les autres pourront éventuellement dire efficace ; en soit le film de Gray orbite tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre. Dans la description de l’Amérique des années 80, en proie à ses violents conflits internes sur fond d’escalade de la drogue et problèmes raciaux, on dresse le portrait des jeunes artistes, plus ou moins vertueux. Mais dans l’opposition de ses protagonistes face à un système défectueux et biaisé, Gray oublie toutefois d’exploiter leurs propres vices et imperfections, et les rares pistes qui seront parfois entamées à ce sujet s’échoueront de manière trop superficielle. Il ne faudrait -hélas- pas trahir l’image des stars qu’il porte à l’écran, ni leur porter trop de tort.
Et c’est là bien tout le cœur du problème de N.W.A. – Straight Outta Compton : avoir dressé (plus ou moins efficacement) le portrait des stars mais avoir platement zappé les humains qui sont derrière. On en revient à l’histoire toute bête d’une success story à l’Américaine, avec ses hauts et ses bas prévisibles, qui ne sont par ailleurs jamais vraiment remis en question (l’absence de réel point de vue sur les agissements des membres du groupe peut laisser dubitatif). Alors le réalisateur du Négociateur applique la formule dite « gagnante », et s’évertue à répéter le schéma classique du genre sans le transcender à aucun moment, en apposant platement à l’image les plus gros succès du groupe. Comment échapper, à l’arrivée, à un résultat des plus basiques possibles ?
Pourtant, sans en arriver à invoquer Michael Mann, figure-maîtresse du biopic post-moderne (avec Ali, évidemment, mais aussi Aviator de Scorsese, dont il est producteur), ne serait-ce que Curtis Hanson, dans 8 Miles, arrivait à mêler sa structure classique à un film autrement plus passionné et malgré tout modeste, qui ne se contentait justement pas d’étaler platement sa bande-son en guise de jonction entre deux séquences. Il ne perdait pas de vue, et c’est peut-être le plus important, qu’avant de façonner de quelconques stars, il faut avant tout créer une histoire dramaturgiquement fonctionnelle. Quelque chose de beau, de vrai. Et si l’on peut toujours reconnaître les efforts faits par Gray au niveau de la mise en scène, propre, ponctuée parfois par quelques longs plans (puisque c’est la mode…), il n’empêche malheureusement pas nécessairement le film d’avoir ce côté plutôt pachydermique, car trop lourd, trop didactique et trop long pour ce qu’il raconte concrètement (à savoir pas grand chose, finalement).
Pendant toute ladite longueur, on nous exhibe plus ou moins fièrement une brochette de sosies, dont l’interprétation n’est pas nécessairement à remettre en cause, mais forcément un minimum conditionnée par l’unilatéralisme des personnages qu’ils campent. A nouveau, cette désagréable impression de cahier des charges planant au-dessus du film revient, à l’heure où le maître-mot du cinéma hollywoodien est peut-être « fan-service ». Est-ce réellement là tout ce que l’on peut en tirer ? Les amateurs de musique pourront peut-être y trouver leur compte (évidemment la géniale bande-son n’y est pas étrangère), comme les afficionados du label, heureux de retrouver leurs stars à l’écran, mais à contrario, peut-être trouveront-ils un tantinet paradoxal d’avoir devant les yeux un produit aussi formaté alors qu’il est question d’anti-conformisme et de contre-culture. Le box-office, juge impitoyable du cinéma, a malheureusement déjà rendu son verdict.