Un peu de musique ?
N.W.A promettait au spectateur de le plonger dans les racines du gangsta rap de Eazy-E, Dre et Ice Cube. La promesse est tenue pendant longtemps par un F. Gary Gray que l'on sent, derrière sa caméra, habité par ce qu'il filme.
Car même si le cheminement du film est ultra classique, empruntant les chemins balisés de la "rags to riches story" sans surprise, il nous entraîne cependant sans mal dans les garages et les clubs de South Central pour assister à la naissance de cette culture et maintient de main de maître l'intérêt dans la fulgurante ascension de ces trois artistes qui semblent inséparables. Jusque dans les sommets atteints et leur cortège d'excès en tous genres, de bravades mal placées de l'autorité, de tensions et de suspicion. Jusqu'au départ d'Ice Cube qui se donne les moyens de déployer ses ailes dans une carrière solo. Jusque dans une guerre avec ses anciens amis, par scuds interposés tirés comme autant de balles dans la tête et de vendettas sanglantes.
On se dit que le film remplit son contrat haut la main, tant il est rythmé et imparable, tant il est habité par une troupe d'acteurs qui empruntent le charisme des artistes... Jusqu'à ce dernier tiers assassin, où le film s'essouffle et se recroqueville littéralement sur lui-même, tellement il n'a plus rien à raconter une fois la scission de Cube, Dre et Eazy-E consommée. La lente descente aux enfers aurait été manifestement plus percutante si elle avait été délestée de ses passages les plus inutiles et appesantis sur un Eazy-E qui n'est plus que l'ombre de lui-même. La musique s'arrête sur ce moment bien précis, cassant net un film qui respirait grâce à ses tubes rageurs et révoltés.
Puis on se dit quand même que mine de rien, on voit bien que certains personnages sont les producteurs de ce N.W.A qui revêt les oripeaux d'une histoire vraie finalement assez romancée, tellement le terreau des trois papas du courant musical est peu abordé, tout comme le côté sombre de certaines biographies. Si la réalité artistique est assez complète, l'oeuvre survole dans le même mouvement le contexte dans lequel le gangsta rap est né, pourtant indissociable, entre violences policières, émeutes raciales et contexte économique.
Le film donne ainsi l'impression d'avoir été cultivé hors sol, quasi totalement coupé des influences et de la raison d'être du courant musical. Les seuls passages qui y font référence sont des images d'archives anodines ou des scènes mille fois vues soulignant sans grande finesse le racisme idiot et ordinaire de certaines composantes des forces de police aveugles et gratuitement oppressantes. Ainsi, les trois rôles principaux sont perpétuellement dépeints comme des victimes, alors qu'ils ne sont pas tout blanc non plus, même s'ils ne méritent à aucun moment l'acharnement dont ils sont les cibles.
Un peu plus de nuances et de contextualisation dans la peinture esquissée auraient été un plus pour N.W.A, comme la mise en scène de la génération montante du rap US qui, en l'état, ne fait que traverser l'écran comme des ombres évanescentes, à l'occasion d'un enregistrement ou d'une présentation fugitive. Pourquoi Snoop Doggy Dog et Tupac apparaissent-ils pour aussitôt disparaître alors qu'ils auraient pu symboliser le passage de témoin d'une génération coupée de la réalité dont elle était issue et qui n'avait manifestement plus rien à dire ?
D'où des dernières minutes étranglées d'une certaine nostalgie de la fraîcheur et de la spontanéité d'une époque où l'on n'avait rien à perdre, doublée d'un hommage assez naïf. Très loin de la rage des débuts, de l'esprit frondeur et des cris de révolte contre l'injustice et l'oppression.
Le temps détruit tout.
Behind_the_Mask, qui rappe et dérape.