Nadia papillonne, « butterfly » aquatique, dans les bassins où elle frappe l’eau de ses deux bras, simultanément ouverts comme des ailes. Elle crée ainsi une musique cadencée, à laquelle se superpose le rythme de sa respiration, tous les deux battements, et qui constitue l’exclusive bande-son de toute l’ouverture du film. Mais, ainsi placé au contact de l’eau, ce vol du papillon se fait reptilien, et le corps de la nageuse ondule et sinue dans l’eau avec toute la vigueur d’un poisson. Sous la houlette de Pascal Plante, qui réalise ici son deuxième long-métrage de fiction, après « Les Faux Tatouages » (2017), la directrice de la photographie Stéphanie Weber Biron accompagne, en des plans séquences magnifiques, ces efforts des nageuses et leurs glissements athlétiques dans les couloirs d’eau chlorée, sur des longueurs de cent mètres.
La natation, le réalisateur québécois la connaît de l’intérieur, puisqu’il la pratiqua, à un niveau pré-olympique, avant de devenir cinéaste. D’où l’importance accordée aux différentes perceptions sensorielles liées à l’exercice de ce sport et le méticuleux travail sur le son effectué par Martyne Morin, secondée par Olivier Calvert au design sonore et Stéphane Bergeron au mixage. D’où, aussi, cette exigence d’authenticité qui conduisit le réalisateur et scénariste à caster de vraies nageuses. Katerine Savard, qui tient le rôle de l’héroïne Nadia Beaudry, est une championne multi-médaillée très connue au Canada, et Ariane Mainville, Marie-Pierre Nadeau, son amie à l’écran, l’est également à la ville, où elle mène de front carrière professionnelle et carrière sportive. Il en est de même pour Hilary Caldwell et Cailin McMurray, les deux partenaires qui conduisent le quatuor au couronnement dans l’épreuve olympique du relais quatre fois deux cents mètres nage libre.
Mais ce désir de porter à l’écran un sport de haut niveau approché de l’intérieur n’offre pas au film son unique objet. Pascal Plante a également souhaité observer ce qui se produit lorsqu’un athlète, dévoré par l’investissement que requiert une pratique olympique, décide, comme le fait Nadia, de mettre un terme à cette carrière. Comment descendre de l’Olympe et redevenir simple mortel ? Quels abîmes d’interrogations s’ouvriront-ils ? Comment les autres dieux prendront-ils cet abandon ? Quel regard portera-t-on alors sur eux…? À travers la vie du village olympique - puisque les nageuses sont censées avoir participé aux Jeux de Tokyo programmés pour 2020 et reportés à l’été 2021 -, Pascal Plante, après avoir splendidement capté l’intensité émotionnelle qui sous-tend une compétition, examine ce qu’il advient ensuite de tant d’adrénaline soudainement en déroute, ne sachant où s’engouffrer pour retrouver, dans la vraie mais si pâle vie, un peu de l’ivresse procurée par les hyperboliques sommets. On ne saurait s’étonner, ainsi, de dialogues ou de situations parfois plus plats ; même cinématographiquement parlant, il n’est pas aisé de quitter un champ d’intensité si naturellement présente. Il n’empêche : les tons bleutés qui baignent les visages et les corps, que ce soit dans la cabine mobile de déshabillage ou dans le petit matin d’un lendemain de fête, disent joliment le difficile arrachement à une eau qui apporta tant de métaux et de moments précieux…
Il n’est finalement pas si fréquent que les dimensions physiques et mentales se voient si intimement explorées, dans leurs nouages comme dans leurs divorces. Pascal Plante nous en livre ici un aperçu esthétique et sensoriel qui continue à baigner le spectateur longtemps après la vision du film.