Premier film d'un réalisateur réputé pour son cinéma extrême, malsain de corps et d'esprit et punk bien comme il faut Nails est un objet relativement brillant, d'assez courte durée mais constamment inventif sur le plan visuel et sonore. Expérience sans logique, visant davantage la singularité que le regroupement consensuel Nails est avant tout - et doit être vu comme tel - un délire déliquescent redoutablement stylisé qui nous entraîne dans l'intimité d'un personnage s'enfonçant des clous dans la tête... Andrey Iskanov, l'auteur du film, fait montre en permanence de son implication lors du générique introductif puisqu'il y occupe de nombreux postes : réalisation, scénario, production, lumière, montage, musique additionnelle ou encore effets visuels... Nails peut donc être considéré comme le bébé d'un seul homme, sorte d'OVNI de cinéma plastiquement peaufiné et particulièrement abouti pour un premier essai.
Nous sommes quelques années avant l'épouvantable Philosophy of a Knife, bloc filmique de plus de 4 heures nous plongeant dans l'horreur du camp 731 du milieu du XXeme siècle. Iskanov, alors inconnu déboule donc avec Nails, long métrage vitriolé d'un grande maîtrise formelle. L'histoire n'y a guère d'intérêts et le film doit compter à peine plus de trente répliques. Nails repose surtout sur un concert d'images complètement folles : des clous dans la tête, des conserves à la gélatine innommable, des squelettes d'oiseaux, une perceuse ensanglantée, des visions psychédéliques tout droit sorties d'un bad trip ou encore une femme en cuir portant une bouche artificielle... Tout un programme ! Images et visions d'horreur, punks à mort car décérébrées accompagnées d'un bande sonore des plus élaborées : stridence, bruits industriels, tempo saccadé, musique techno et nappes sonores saturées... La première référence venant à l'esprit au regard de Nails reste sans doute Eraserhead ( moins pour la tonalité que pour l'effet produit : il est évident en revanche que le film d'Iskanov n'atteint pas le génie du chef d'oeuvre de Lynch ).
L'atmosphère SM - ou du moins fétichiste - de Nails transmet un sentiment de dépravation notoire, comme si Andrey Iskanov titillait le petit diable de tout un chacun. Les images, comme dévorées par l'acide sont pour la plupart dans les tons roses fluo et le montage repose énormément sur la rupture ( bien que totalement linéaire la maigre intrigue de Nails se voit agrémentée de véritables shoot visuels évoquant au passage l'électrisant Requiem for a Dream de Darren Aronofsky ). Il semblerait qu'Iskanov ait voulu réaliser le film ultime en matière d'organique, cherchant à marier les substances diverses ( ferraille, gélatine, verre, tissu, etc...) à la chair de son protagoniste ( ou a fortiori ses circonvolutions cérébrales où la caméra s'infiltre comme une sonde ). Nails est un film limite, dépassant les frontières de l'acceptable et celles - moins évidentes - du visible : ainsi la caméra va parfois jeter un coup d'oeil du côté des choses que le spectateur, lui, ne peut pas voir en temps normal ( une cervelle, un tissu nerveux ou quelque stroboscope survenu de nulle part...).
Certes le film est dérangeant, parfois même insoutenable et amoral à n'en plus finir. Mais il est à voir pour qui apprécie les expériences de cinéma extrêmes et radicales. Iskanov nous a concocté là un petit sommet de style cinématographique, éprouvant et agressif. Une petite claque.