The Birth of a Nation est une œuvre construite dans le respect de la chronologie mais pensée à rebours : elle part du Ku Klux Klan pour mieux enraciner son action dans l’Histoire et lui conférer légitimité et honneur en réaction à cette maladie noire qui gangrène l’Amérique… Dit autrement, la première partie n’est là que pour préparer la seconde. La guerre occasionne un dérèglement ; c’est aux justiciers qu’il convient de rétablir l’équilibre entre les races, de restaurer l’homme blanc au sommet du politique. Aussi le long métrage de David Wark Griffith donne-t-il vie à la première représentation, dans le cadre du cinéma et plus précisément du blockbuster, du vengeur masqué, ce type de héros qui, un siècle plus tard, continue de gonfler le soft power américain avec ses collants, ses musculatures saillantes, son autodérision. Ici le vengeur est avant tout membre d’un corps plus vaste, ce Sud meurtri qui tente de sauver son pays de la souillure en prenant les armes.
Nul hasard si le cinéaste a également mis en scène des westerns : les chevauchées, rythmées par Wagner, convoquent l’imagerie de la conquête de l’Ouest qu’avait répandue dans le monde entier Buffalo Bill ; il s’agit donc d’un vaste mouvement de reconquête, non de l’Ouest mais du Sud, qu’il faut arracher aux mains de la barbarie pour y rétablir la civilisation. Le film invite son spectateur à prendre conscience de l’importance que revêt l’esthétique dans la création du racisme : The Birth of a Nation ne se contente pas de diffuser une thèse raciste, soucieuse de réécrire l’Histoire afin de faire correspondre son idéologie avec les grands événements de la guerre de Sécession et ses conséquences, il construit du racisme dans et par sa forme. La plupart des innovations techniques et artistiques n’ont d’autres fonctions que de glorifier le vengeur blanc, en témoignent les gros plans sur le coton qui mute aussitôt en fleur romantique, la caméra embarquée qui confère à la chevauchée des fanatiques une puissance du mouvement pur, la superposition des plans qui insère à terme Jésus parmi le peuple vainqueur, élu de Dieu.
L’œuvre tire sa puissance de l’entrelacs de l’historique et du romanesque, composant des héros sudistes à la fois acteurs d’une guerre subie et icônes d’un art de vivre – la suprématie de l’homme blanc – et de voir – le cinéma.