La restitution naturaliste de l’adolescence est un sujet en soi : un monde cruel et retors, au gré de montagnes russes qui suivent avec passion des voies que la raison ignore.
Naissance des pieuvres tente de restituer cet univers impitoyable en l’inscrivant sur une toile de fond particulièrement éloquente, le milieu de la natation synchronisée : règne du beau et du factice, ce ballet des corps fascine autant qu’il déconcerte, à l’image de l’éveil des sens des protagonistes.
Au centre des échanges, la jeune Marie fait figure d’une Effrontée des années 2000 : même air renfrogné, même rage rentrée et désir d’en découdre avec la vie en dépit du silence qu’elle lui impose, on retrouve trait pour trait les expressions de Charlotte Gainsbourg à ses débuts. Face à elle, Adèle Haenel dans l’un de ses premiers rôles est tout aussi convaincante, tandis que la troisième comparse, archétype de l’adolescente complexée au physique ingrat sait admirablement distiller tout le malaise propre à cet âge.
Séduction, amour, découverte de la sexualité, rites d’initiation font les quêtes de ces maladroits apprentis adultes. Des parents, nulle trace : leur progéniture est livrée à elle-même face aux grands enjeux de la vie sentimentale. Céline Sciamma parvient à restituer avec tact et sans didactisme les contradictions des personnages, de leur désœuvrement à leurs coups d’éclat, de leurs erreurs de jugement à leur sensibilité douloureuse.
Dans un monde où le paraitre est l’obsession première, la compétition, qu’elle soit dans les bassins ou en soirée, occasionne de belles prises de vues et un recours à la musique souvent très pertinent.
On peut s’interroger sur certains détours du scénario (comme la scène de dépucelage entre filles, par exemple, ou la révolte des seconds couteaux à la fin), et la distance du regard empêche aussi une véritable empathie avec les personnages. Il n’en demeure pas moins que cette plongée dans le monde opaque de l’adolescence réussit là où trop souvent, le regard des adultes occulte les vraies problématiques de cette période trouble.
(6.5/10)