Nana par Patrick Braganti
Venue de la photographie et des installations sous forme de projections et de diaporamas, Valérie Massadian a gardé de cette pratique l'espace de liberté qu'elle permet, tout en n'occultant pas la rigueur face aux sujets photographiés qu'elle requiert. De la prise de conscience de cette dualité, ainsi que de ses collaborations auprès de plusieurs cinéastes naît la propre envie de Valérie Massadian de réaliser son film, dont elle veut s'occuper en totalité, du projet originel à la fabrication. Habituée à travailler seule dans le domaine de la photographie, elle a plutôt tendance à trouver absurde la division des métiers et la répartition des tâches sur un tournage. Avec un petit budget, un sujet qui touche à l'intimité et oblige justement à la relation très rapprochée entre cinéaste et comédien, en l'occurrence une enfant de quatre ans, quelques autres acteurs, des décors naturels et l'absence quasi-totale de dialogues, on perçoit en filigrane et en toute logique que l'apprentie réalisatrice a occupé tous les postes, supervisé toutes les étapes et surtout réussi à créer un rapport osmotique avec Kelyna Lecomte, sa très jeune et formidable interprète.
À l'orée de la forêt, dans un univers rural et presque ancestral, Nana vit avec sa mère dans une petite maison en pierres, sans confort. De retour de l'école, en fin d'après-midi, elle trouve l'endroit déserté et plongé dans le silence. Pour Nana commence un voyage intérieur et initiatique qui prend la forme d'un conte. Captée et regardée plutôt que mise en scène, la petite fille ne joue pas, peut-être même n'a-t-elle pas conscience des enjeux. C'est d'ailleurs là que le film trouve ses limites, en tenant parfois à distance le spectateur. Cette mise à l'écart se manifeste également par le choix des plans fixes qui eux-mêmes observent de loin les scènes avec Nana, mais aussi celle inaugurale avec la mort du cochon. Les séquences avec les porcelets alternent au demeurant avec celles sur Nana, laissant au spectateur le soin d'y voir (ou non) un sens. Nous sommes d'abord dans l'expérience sensorielle tant la narration est ténue et ses clefs inexistantes. Cependant, de façon presque documentaire, Nana dépeint aussi des êtres à l'existence précaire et on pense parfois au travail d'Agnès Varda avec Les Glaneurs et la glaneuse. On sait gré néanmoins à Valérie Massadian de nous transporter pendant un peu plus d'une heure loin du bruit et de l'agitation des villes et de rendre toute sa grandeur au silence, tant par la rareté des dialogues que par le refus d'expliciter. Et par conséquent de laisser au spectateur toute la latitude de ressentir.