Angle mort
Il en est des personnages historiques comme des pièces de théâtre patrimoniales : à chaque fois qu’un metteur en scène s’y attaque, il se doit de livrer sa lecture, et prend soin, avec plus ou moins...
le 26 nov. 2023
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"Depuis 1066, la France et l'Angleterre se détestent." Leo Carruthers
Cette phrase, bien que radicale, décrit plutôt bien la situation. Une situation où un réalisateur britannique a osé faire un film sur l'un des plus grands dirigeants de l'Histoire de France, rendez-vous compte !
Car qu'on se le dise maintenant, c'est là tout le sujet du débat qu'a fait naître le film Napoléon depuis sa sortie en salle.
Et dans ce débat participent alors plusieurs acteurs :
Et cette critique, rédigée par un français, va évidemment rentrer dans la danse du conflit inter-étatique (ou plutôt "inter-population") qui se base sur la question fatale "Qui a le plus raison ?", oui sinon ça ne serait pas drôle.
Je ne traiterai cependant pas de toutes les incohérences historiques qu'on aperçoit dans le métrage car elles ont toutes déjà été analysées au peigne fin par des savants bien mieux placés que moi pour en parler.
Je m'axe plutôt sur l'utilisation des aspects historiques à l'encontre de Napoléon, ou comment détourner les faits pour les mettre au désavantage de son ennemi de tout temps.
Car bien sûr, tout ceci n'est que le produit de vieux et robustes enfantillages. Nos nations, depuis leur tendre enfance, aiment se chamailler, se titiller, se moquer réciproquement : À nos "Ah ces rosbifs", "Les angloches" ou encore "l'Angleterre, cette colonie qui a mal tourné" (Clémenceau) ils nous répondent "Pardon my French", "A French Tart" ou "Frog Eaters".
Et bien que de nos jours les petits pics sont moins rares qu'en temps de conflits ou de désaccords, ils subsistent tout de même, preuve d'une certaine nostalgie, preuve d'un certain amour désavoué qu'anglais et français se partagent...
Cependant, venons-en au film.
Commençons d'abord par la réalisation. Il faut savoir que Ridley Scott, aussi tenace et désinvolte sur les plateaux de tournage qu'il soit, n'apporte très peu voire aucun réel intérêt quant à la plausibilité historique de son œuvre. On a pu le lire avec son "Get a life" (réponse qu'il a faite à des critiques sur le sérieux de son film). Et plus récemment avec l'interview de Loris Chevalier (conseillé historique durant le tournage de Napoléon) qui affirme : '' Ridley Scott m'a dit la première fois que j'ai travaillé avec lui, que sur Gladiator il a viré 7 conseillés historiques. Il m'a tout de suite dit "ici, on a pas le temps pour de longs développements". ''
Le reproche que je fais à Scott n'est pas tant de s'extraire des faits avérés pour construire son personnage selon sa vision personnelle, c'est une pratique tout à fait courante dans le Biopic (Amadeus, Andrei Rublev, Oppenheimer, Simone, House of Gucci,...) et même plutôt géniale en instaurant une atmosphère propre au réalisateur, mais il se situe dans cette impression très tendancieuse de simplement rabaisser sans équivoque le personnage de Napoléon.
En effet, dans le film Napoléon n'a rien de ce que l'on pourrait penser d'un empereur. Il n'a pas de prestance, il a des expressions faciales si fades et blêmes qu'on ne le reconnaîtrai pas en le comparant avec les tableaux à son honneur, il est petit (et ça Scott s'amuse mainte fois à le mettre en scène, notamment ce moment où le personnage parle assis à deux de ses généraux et nous avons un plan de face où l'on voit l'évidence qu'il mesure une tête de moins), il est égocentrique, il n'assume pas ses erreurs, il peut être capricieux, il est piètre dragueur et piètre faiseur d'amour (jamais ai-je vu Joaquin Phoenix dans un état dégradant autant son image à vrai dire, dans des scènes érotiques minables), l'empereur est un vampire.
L'empereur est un vampire ? Non, Joaquin Phoenix l'est. Et s'il y a bien un élément qui fait obstruction totale au bon déroulé du rythme du film, c'est lui. Sa performance est un raté complet. Il propose un personnage absolument amorphe et molasse, dénué de vie. On perçoit même au début du film lors de la prise de Toulon un homme avachi, aux allures de drogué, perdu dans son monde mais guidé par ce qui semble être son seul talent, la stratégie militaire. Un peu à l'instar de Messi et de son autisme, un homme incroyablement bon dans son domaine, mais mauvais dans d'autres aspects notamment dans la sociabilité (ce que n'était pas du tout Napoléon). Je me doute que le trait de caractère est dans cette scène accentué pour prouver sa détermination, mais non, ça ne marche pas.
Et il serait culotté de parler de "mauvaise direction", aucune direction, aussi mauvaise qu'elle soit, n'impose à l'acteur d'assombrir autant l'image et le rythme.
L'acteur ne s'identifie tout simplement pas au personnage, et c'est pas faute d'avoir essayé avant le tournage en ayant visité les places et monuments parisiens pour s'imprégner au mieux du contexte spatial dans lequel Napoléon a mené sa révolution impériale. Cela s'explique aussi par le rapport que Phoenix a, ou plutôt n'a pas, avec la France. Comment s'identifier à un personnage historique d'un pays dont on a aucune attache, voire peut être pire, qu'on méprise (depuis une certaine propagande lancée en 2003 par les États-Unis) ?
Heureusement, du côté féminin ce fut tout à fait le cas contraire avec Vanessa Kirby qui (peut être grâce à cette visite parisienne qui sait...) offre une performance impeccable dans son rôle de femmes maîtresse, sûre d'elle-même et joueuse de sentiments. Les scènes où elle feinte quelques émotions pour attendrir la colère de Napoléon sont tout bonnement maîtrisées et elle semble même mener la cadence du film. Un point positif pour l'actrice, mais assez négatif pour le film.
Pour ce qui est des points positifs du métrage, il faut avouer qu'il y en a tout de même plusieurs. Premièrement, les scènes de batailles (hormis celle d'Égypte complètement bâclée) sont, comme le réalisateur a pu nous le prouver dans Le dernier duel ou Gladiator, d'une grandiosité sublime et d'une composition millimétrée. On n'y fait pas dans l'à peu près, on nous montre aussi bien les rangées d'artillerie que les rangées de cadavres, le tout dans un bain de sang, de boulets de canon, de boyaux explosés et de tissus brûlés. La sensation d'y être est totale, et il faut notamment remercier le travail sur le son qui est d'une précision inouïe.
Qui dit son dit musique, et pour la musique on est servis ! Si l'utilisation de la langue anglaise était nécessaire dans la réalisation du métrage, Martin Phipps a très bien respecté le changement ethnique de la musique en fonction du pays ou la région où l'on était. Débutant par le "Ah ça ira" bien français, on voyage ensuite auditivement des îles corses aux pyramides égyptiennes, jusqu'au contrées russes. Je reste cependant très dubitatif quant à l'utilisation d'une sorte de morceau électro-moderne durant le siège de Toulon, un anachronisme auditif qui m'a complètement sorti de l'action à ce moment-là.
Je saluerai enfin la mise en scène et quelques plans sublimes dont on a pu jouir 2h30 durant, nous faisant voyager de pays en pays avec des terrains toujours différents, même si beaucoup réalisés en studio et facilement reconnaissables.
Mais vous me direz, quand tu t'appelles Ridely Scott, avec tout ton back-ground filmographique et un budget très conséquent, heureusement que tu proposes ça.
Napoléon est donc un biopic fictionnel, un moyen d'expression du réalisateur qui passe un message plutôt flagrant sur son avis de l'empereur qui marcha sur les traces d'Alexandre le Grand et César.
Projet réussi ? Pas pour moi, et peut-être pas non plus pour ces dizaines de gens dans ma salle qui ont continuellement baillés voire dormis.
Je pourrais comparer l'écho que ce film a fait dans mon âme à la scène finale de la mort du personnage de Napoléon : sans un bruit et ridicule.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Flop 10 de l'année 2023, Les meilleurs films de Ridley Scott et Les meilleurs films avec Joaquin Phoenix
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le 23 nov. 2023
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