Angle mort
Il en est des personnages historiques comme des pièces de théâtre patrimoniales : à chaque fois qu’un metteur en scène s’y attaque, il se doit de livrer sa lecture, et prend soin, avec plus ou moins...
le 26 nov. 2023
117 j'aime
13
Voir le film
Attendu depuis maintenant de nombreux mois, le Napoléon de Ridley Scott est enfin sorti sur les écrans. Deux heures-et-demi durant lesquelles le réalisateur essaye de nous raconter, à sa sauce, l'ascension et la chute de l'Empereur des Français. Ou, comment passer un aigle à la moulinette hollywoodienne pour en faire une boîte de nuggets bien gras.
Une idylle qui ne prend pas
L'ambition de départ n'était pourtant pas mauvaise, et constitue l'un des ressorts classiques du film historique hollywoodien. Présenter l'épopée napoléonienne sous le prisme de la romance avec Joséphine, montrer que le petit corse a entrepris tout ce qu'il a fait pour les beaux yeux de sa première épouse, nous raconter que les ailes de l'aigle ne sont en fait que les ailes du désir, cela pourrait être rafraichissant, cela pourrait être poétique. Mais tout cela est tellement mal exécuté que cela ne prend pas.
Le vice de départ tient à l'absence totale de séduction à l'écran. On est à la limite du scénario d'un gonzo quand Joséphine écarte ses cuisses au milieu d'un salon. Il n'y a pas d'Idylle. Il n'y a pas de passion. Il n'y a pas d'érotisme. C'est gras, c'est vulgaire, c'est mal joué, mal mis en scène. Napoléon un phallus sur pattes et Joséphine un trou à quatre pattes.
Les thèmes abordés sont pourtant des plus féconds dans l'histoire de l'art : l'adultère, les difficultés d'un couple à avoir un enfant, l'éloignement, la mort. Ne pas être capable de susciter la moindre émotion avec ces sujets relève de l'exploit. C'est la prouesse réalisée par le réalisateur anglo-américain. Il arrive à ne rien nous faire ressentir.
Les scènes de ménage sonnent terriblement faux. Les écrits amourachés des deux amants sonnent creux. Les scènes de sexe sont grotesques et dénuées de tout érotisme.
En y réfléchissant, je me suis rendu compte que l'amour est un des thèmes absents de la filmographie de Ridley Scott. Pourquoi s'obstiner alors dans cette voie ? L'auteur n'a-t-il pas ici péché par orgueil, en se disant qu'il était capable de faire un grand film historique avec une romance comme trame ?
Privé de ce qui devait lui servir de colonne vertébrale, le film complètement dégingandé se ramasse sur lui-même. Les batailles et campagnes devaient apporter des changements de rythme bienvenus. N'étant présentées et narrées que par la correspondance épistolaire succinctes et inintéressantes des deux amants, elles tombent comme un cheveu dans la soupe.
Elles apparaissent comme des parenthèses à une passion débordante que l'on ne perçoit pas, provoquant un effet de vide et de désintérêt pour le film.
Il semblerait que la version longue ajouterait de la matière et du liant à l'intrigue. Les abonnés de la plateforme Apple nous diront ce qu'il en est.
La « Director's cut » ne permettra pas en revanche de pallier le problème d'âge des acteurs. Joaquin Phoenix ne peut camper, à 49 ans, le rôle d'un jeune soldat de la Révolution ambitieux - Bonaparte a 27 ans lorsqu'il mène la première campagne d'Italie - et qui s'éprend d'une femme de six ans son aînée. Là encore, difficile d'y croire.
Une écriture des personnages brouillonne et inconsistante
Napoléon vu par Ridley Scott est une brute. Il est peu loquace, sans répartie, et montre la plupart du temps une absence totale d'intelligence, au point de littéralement s'endormir quand Barras lui parle de politique ou d'être parfaitement incapable de dicter une missive à son secrétaire sans se faire corriger. Malgré tout, il fait montre de beaucoup bonhommie. Il est présenté comme courageux, trait de caractère souligné par la mise en avant de son côté chétif et gauche, et il est patriote, probablement plus que ne le fut le Napoléon historique. Au fond, ce Napoléon Bonaparte n'est pas un mauvais bougre, il passe pour un brave type, simple et taiseux, un bourrin, un homme de troupe quoi. On ne comprend pas très bien comment il fini par avoir autant de pouvoirs. On devine que l'influence de Joséphine n'y est pas étrangère, mais on ne nous le montre pas.
Ce butor semble pourtant capable dans le même temps de mener tout seul des opérations militaires ou diplomatiques importantes et fait preuve à ces occasions de beaucoup de subtilité.
Ici encore, Ridley Scott est incapable de trancher, de suivre une ligne directrice, de mettre de la cohérence dans son film.
Enfin, on ne se verra pas épargné le cliché de l'homme latin rustre et viril au dehors mais complètement soumis à sa mère et sa femme à la maison. Et si jamais on ne l'avait pas assez compris, les chants polyphoniques corses nous le rappellent à satiété. Cet intérêt de la culture latine de Napoléon aurait mérité d'être creusé, car il y avait matière à faire plus que du pastiche. Mais le clan Bonaparte a été complètement effacé de l'histoire. Là encore une piste ouverte et inexploitée, sauf pour le grotesque d'un Joaquin Phoenix qui nous donne parfois un numéro entre Mussolini et De Niro sur une bande son qui rappelle celle du Parrain. On frôle la parodie.
Le personnage de Joséphine s'en sort un peu mieux, mais demeure lui aussi bâclé. Cette femme est censée avoir l'ascendant sur Napoléon par son âge, ses intrigues politiciennes, sa richesse et ses manières. Or, loin de son entregent, c'est son entrejambe qui paraît hypnotiser le primitif Napoléon. Réduite à n'être qu'un cul dans l'attente d'être pris par son empereur de mari, Joséphine campe pourtant le rôle d'astre autour duquel le météore Bonaparte gravite. Une telle attraction ne peut se fonder sur quelques expéditifs coïts. Ici encore, cela ne colle pas et cela ne prend pas.
Enfin, comment croire à une passion brûlante quand les deux amants de Rueil-Malmaison sont désincarnés par un Joaquin Phoenix au bord de la crise d'asthme et une Vanessa Kirby qui semble se demander par moment ce qu'elle fout là.
Les autres personnages ne sont absolument pas développés. Ce n'est pas comme si la période n'avait pas été riche en grands hommes.
Un scénario qui veut parler de tout mais qui ne montre rien
À côté du récit de l'histoire passionnelle entre Napoléon et Joséphine, Ridley Scott a tout de même voulu retracer la frise chronologique des événements depuis la Terreur jusqu'à Saint-Hélène. Un tel programme est une gageure, tant ces vingt années de l'histoire de France furent riches. Un arbitrage doit être fait sur ce qu'il convient de montrer ou non. Je ne souhaite pas entrer dans le débat de la pertinence de ces choix au regard de l'Histoire, l'auteur étant libre de présenter ce qu'il veut, un film n'étant pas un documentaire. Mais un peu d'empathie et de pédagogie pour le spectateur ne serait pas du luxe. À aucun moment le contexte historique n'est présenté. Les ellipses de plusieurs années se succèdent sans explication. Les scènes « d'Histoire » sont réduites à une succession de tableaux qui se suivent sans fil conducteur pour le spectateur dénué de connaissance historique sur la période (soit la majorité du public). On est vite perdu. On se contentera de l'ajout en post-production de l'inscription du lieu et de la date (parfois du nombre de morts, parfois non). J'ose à peine imaginer comment un spectateur américain lambda puisse espérer comprendre quelque chose au film.
Plus grave, la question est de savoir quel sujet l'auteur veut aborder ici ? Quel sentiment veut-il susciter chez le spectateur ? Veut-il insuffler à son film un élan épique ? Une représentation esthétisante de la guerre ? Ou au contraire provoquer le dégoût du public face à cette violence ? Je ne saurai le dire. Encore une fois, on ne ressent rien. On prend acte de ce qui nous est présenté à l'écran. On est dans l'attente du prochain tableau, guère plus stimulant que le précédent. Je pense que l'on est face à une volonté de narrer le plus d'événements possibles, et pourtant terriblement partielle, et l'on entre alors dans le registre du très mauvais film documentaire. C'est dénué d'énergie, d'intelligence, de bon goût, de saveur, d'intuitions bien senties reproduites à l'écran. La mise en scène se perd avec des effets visuels grossiers.
Enfin la reproduction historique est mauvaise. L'ensemble est mal documenté et mal digéré. L'auteur n'a pas été capable de représenter correctement une seule bataille - il en tourne pourtant cinq... Napoléon et Wellington ont plus l'air de dresseurs pokémon que de généraux d'armée. Je ne m'appesantirai pas plus que ça sur l'aspect historiographique de la critique du film. D'autres le feront bien mieux que moi et sur des plateformes dédiées à cela. Nous parlons ici de cinéma.
Ce film est un amphigouri de scènes de ménages sans grande vraisemblance, un récit qui tient sur des personnages sans saveur et sans profondeur, une direction d'acteur qui laisse à désirer, un fatras de représentations historiques bâclées et sans grande cohérence, le tout dénué d'intelligence, baignant dans le vulgaire et la putasserie la plus crasse.
Créée
le 25 nov. 2023
Critique lue 62 fois
D'autres avis sur Napoléon
Il en est des personnages historiques comme des pièces de théâtre patrimoniales : à chaque fois qu’un metteur en scène s’y attaque, il se doit de livrer sa lecture, et prend soin, avec plus ou moins...
le 26 nov. 2023
117 j'aime
13
Un film sur Napoléon, réalisé par le maître Ridley Scott et porté à l'écran par Joaquin Phoenix ? Sur le papier, on tient sans doute un des films les plus ambitieux du grand réalisateur. Et en soit,...
Par
le 22 nov. 2023
75 j'aime
10
Première scène, Marie-Antoinette est guillotinée, gros plan sur sa tête décapitée et la foule qui exulte sur fond de "Ah ! ça ira" chantée avec une voix à la Edith Piaf. Le ton est donné, et le reste...
Par
le 23 nov. 2023
54 j'aime
4
Du même critique
Attendu depuis maintenant de nombreux mois, le Napoléon de Ridley Scott est enfin sorti sur les écrans. Deux heures-et-demi durant lesquelles le réalisateur essaye de nous raconter, à sa sauce,...
Par
le 25 nov. 2023
Le pitch Deux chercheurs anonymes d'une université du Michigan font un soir une découverte incroyable : une gigantesque comète se dirige droit vers la Terre. Elle détruira toute forme de vie après...
Par
le 29 déc. 2021