Le pitch
Deux chercheurs anonymes d'une université du Michigan font un soir une découverte incroyable : une gigantesque comète se dirige droit vers la Terre. Elle détruira toute forme de vie après son impact.
Le compte à rebours est lancé, l'humanité ne dispose plus que de six mois avant la fin du monde.
Avec une distribution impressionnante (Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett, et autres Jonah Hill), Adam McKay nous présente une pièce tragicomique engagée dénonçant par le burlesque et l'absurde certains des maux contemporains.
On n'est pas face à un chef-d'œuvre, mais un film qui ose malgré tout quelques paris scénaristiques réussis. On passe un bon moment relativement divertissant et amusant.
Une satire de l'époque efficace (attention divulgâchage)
Alors que l'on s'attend - comme dans tout bon gros film de catastrophe - à ce que les pouvoirs publics américains prennent à bras le corps le danger et finissent par sauver le monde, Don't look up : Déni cosmique prend le spectateur complètement à contrepied. L'humanité va effectivement disparaître et elle ne sortira pas de l'Histoire par la grande porte, mais plutôt avec un bruit de chasse d'eau bien sonore.
Fini le scénario du petit scientifique américain qui va réussir à trouver la solution pour éviter la catastrophe, il sera ici de collusion avec le gouvernement attentiste et irresponsable. Oubliez le symbole du héros, ancien militaire, qui se sacrifie pour sauver sa patrie et même le reste de son espèce, il est campé par un mufle doublé d'un crétin (interprété par Ron Perlman). Le film s'évertue à démolir dans une joyeuse parodie ces archétypes nationaux qui ont forgé la culture populaire américaine depuis le développement de l'industrie cinématographique.
Je dois avouer qu'en tant que français las de l'éternel "doux pouvoir" du cinéma américain, le spectacle est plutôt rafraichissant, et l'on se délecte de voir le pays de l'Oncle Sam déconstruire ses propres mythes (et pas ceux des autres, pour une fois).
La Présidente des États-Unis, véritable pastiche d'un Trump au féminin, ne pense qu'aux élections de mi-mandat et au scandale concernant la nomination d'un juge à la Cour suprême dont des photos de lui nu ont fuité sur l'internet. Elle préfère attendre et aviser en fonction de la situation politique, privilégiant son agenda politique à celui de la catastrophe. En toile de fond, c'est une critique de l'attitude du gouvernement américain face à des menaces bien réelles que l'on distingue. La météorite qui doit s'écraser sur notre planète est une allégorie du réchauffement climatique qui est assez rapidement établie par le spectateur. Le caractère indirect de la critique donne une véritable force de persuasion au message.
Fait notable, les grandes entreprises du numérique ne sont pas épargnées. Devenues des hégémons, elles prétendent à supplanter le politique dans la direction des affaires publiques les plus graves. Attirées uniquement par l'appât du gain - la scène où Peter Isherwell (interprété par Mark Rylance) énonce en milliards de dollars la valeur des matériaux composant le météore est glaçante - elles ont les moyens de leurs ambitions et peuvent infléchir du tout au tout la politique du gouvernement (ce que nous développerons plus loin dans les reproches faits au film).
Les médias américains ne sont pas mieux. Ils se moquent de la menace et préfèrent sonder les réseaux sociaux, véritable baromètre de la popularité de l'information qu'ils produisent ou qu'ils relayent. Adam McKay nous donne une représentation de la société du spectacle et de l'infotainment grandeur nature. On y voit le théâtre d'un univers où les idiots sont rois, où la futilité est centre d'intérêt commun, et où chacun est astreint à afficher un bonheur de tous les instants. Le public est noyé sous un flot d'informations d'importance inégale, otage de journalistes animés par une volonté de divertir et non d'informer.
Il faut reconnaître que cette distribution de coups est plutôt réussie et jouissive. Le film, qui se veut être une satire de l'époque, parvient à dresser le portrait d'un occident grossier et superficiel. Si les intuitions sont bonnes et les cibles sont bien ajustées, plusieurs réserves peuvent néanmoins être émises.
Une critique qui n'échappe pas à des écueils
Je ne peux m'empêcher cependant de faire la fine bouche.
La mise en scène avec une caméra portée n'est pas ce que je préfère et j'ai beaucoup de mal à y adhérer. Cependant, je reconnais qu'il peut s'agir d'un choix artistique, prenant le pari d'une immersion plus réaliste, avec des gros plans réguliers qui montrent le décalage entre les protagonistes et leurs interlocuteurs face au drame qui se joue. Je n'ai pas non plus accroché avec le montage, la multiplication des plans étant là avant tout pour rythmer une intrigue assez limitée. Enfin, j'ai trouvé la fin entièrement en image de synthèse assez kitsch et décevante d'un point de vue esthétique.
Par ailleurs, le film n'échappe pas à un travers assez exaspérant : celui du manichéisme.
On peut souligner l'effort pour présenter des protagonistes qui sont des anti-héros, qui ont leurs vices, qui sont au bord de basculer dans le camp du mal. Les vedettes qui participent à leur manière à la préservation du bien commun sont présentées comme écervelées, et la vacuité des paroles de leur chanson permet de comprendre qu'elles sont elles-aussi le jouet des activistes et des "sachants".
Néanmoins, une telle précaution n'est absolument pas prise vis-à-vis des antagonistes, lesquels sont dépeints d'une manière tellement grossière qu'elle les rend totalement improbables. Prenons par exemple la caricature du chef de l'État américain. Non contente d'être une idiote et une arriviste, la femme à la tête de la première puissance mondiale se trouve être complètement impuissante, sous la coupe du PDG d'une grande multinationale qui arrive à la tenir sous son joug uniquement par le levier financier. Tirant sur une fibre complotiste assez prégnante dans la société américaine, celle d'une collusion absolue et totale entre élites politiques, médiatiques et économiques, ou l'idée d'un petit groupe d'individus qui prennent réellement les décisions importantes, le film tend ici vers la facilité.
Ce ressort complotiste est à souligner dans un film qui s'évertue à faire la dénonciation d'un esprit populaire qui serait assez largement enclin à tomber dans les théories du complot et l'anti-science. La caricature des "red neck" qui refusent de regarder le ciel pour voir la météorite pourtant apparente est une critique grossière (mais drôle, tant le degré d'absurde est élevé) et assez attendue. Il ne s'agit pas d'une prise de position courageuse, mais plutôt largement partagée par l'establishement américain, dont l'hostilité au trumpisme et à ses supporters est de notoriété publique.
Enfin, malgré tout le zèle déployé à taper sur les siens, le réalisateur reste avant tout un Américain, qui voit le monde sous le tropisme américano-centré. Le salut de l'humanité ne repose que sur les États-Unis, le reste de la planète étant totalement invisibilisé, anonymisé et seulement entrevu dans un patchwork d'images d'Épinal qui n'apparaissent à l'écran que quelques fractions de secondes. Imagine-t-on réellement que si une météorite s'apprête à détruire la planète, l'ensemble des autres nations du monde vont attendre les bras ballant et laisser les Américains faire comme bon leur semble ? Pire, trois grandes puissances s'allient (la Russie, la Chine et l'Inde) pour dévier le météore, mais elles sont balayées comme des mouches par l'ogre américain. Il s'agit là d'une vision démiurgique de l'Amérique qui diffère assez peu de celle des films catastrophe habituels, l'angle et le parti pris étant seuls divergents : toute puissante qu'elle soit, l'Amérique est décadente, ce qui rend sa responsabilité dans le désastre encore plus grande.
Pour finir, Adam McKay aborde une flopée de thèmes intéressants, mais qu'il ne peut prendre le temps de réellement développer. On se contente d'effleurer la corruption par la célébrité, la justification des décisions gouvernementales par des experts aux ordres, l'exigence de la félicité permanente et le refus de tout conflit, la prise médicamenteuse addictive des Américains. C'est frustrant. Il eut mieux valu en traiter moins mais mieux.