Angle mort
Il en est des personnages historiques comme des pièces de théâtre patrimoniales : à chaque fois qu’un metteur en scène s’y attaque, il se doit de livrer sa lecture, et prend soin, avec plus ou moins...
le 26 nov. 2023
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Voir le film
Analyse rédigée en novembre 2023, dans le cadre d'analyse de films pour une école de cinéma.
Pour en finir avec les salles de cinéma
Je déteste aller au cinéma. L’idée de m’enfermer dans une salle pendant plus ou moins deux heures est, à mes yeux, une torture. Déjà, je ne sais jamais comment m’installer : d’un cinéma à l'autre mes genoux cognent sur le siège devant moi et maintenir une position unique aussi longtemps me procure diverses migraines et torticolis gâchant le film. Ensuite, je déteste les publicités, j'en ai rien à foutre de la dernière glace Magnum ou de Jean Dujardin qui boit le dernier café Nespresso. Je déteste regarder des bandes-annonces avant un film, surtout que je paye environ quinze euros la séance puisque je refuse de m’inscrire à un quelconque abonnement. Je fais l’impasse sur les bruits de mastication en tout genre, la climatisation désagréable, les popcorns qui trainent, l’hygiène hasardeuse, les ronflements de mes congénères pendant les séances et, plus récemment, la présence de punaises de lit. Vraiment... Je déteste les salles de cinéma.
Que les salles brûlent. Je ne vois pas d’autre solution.
C’est donc en trainant les pieds que je suis allé au cinéma pour pondre cette pseudo-critique. Je m’y suis pris au dernier moment, surtout que j’ai un puzzle de deux mille pièces d’un labrador assis dans une pelouse à achever et que ma vaisselle traînait dans l'évier depuis quinze jours. Enfin bref... j’y suis quand même allé, il y avait une séance samedi soir pour Napoléon de Ridley Scott. Ayant raté Guerre et Paix de Sergueï Bondartchouk, je me suis dit pourquoi pas. J’adore Joaquin Phoenix et sa capacité télépathe à entrer en connexion avec moi. J’aime beaucoup ne pas arriver à saisir son regard, ne pas comprendre l’émotion exacte qui le traverse, il m’attire et m’hypnotise. Il figure avec Yolande Moreau, Denis Ménochet et Tilda Swinton, parmi mes acteurs favoris.
Le film passait au Louxor à 20h10. Sur la route je suis allé au Monoprix m’acheter un sandwich Sodebo jambon cheddar et j’ai volé une canette de Coca. J’ai longuement hésité à prendre un paquet de chips au vinaigre, mais je commençais à être en retard. En sortant du Monoprix, j'ai pensé au confinement, je me demandais à quel point il a développé ma paresse et mon désintérêt des salles obscures, à quel point je suis devenu une créature se rapprochant de Gollum, qui peine à sortir de sa grotte. En tout point, j’associe le cinéma à une prise d’otage. Il m’arrive souvent - pourtant je ne pense pas avoir une vessie de grand-père - d’avoir des envies pressantes d’uriner lors d'un film. Un jour, je passerais peut-être le cap d’installer une sonde urinaire pour être à l'aise pendant le film. D’ailleurs ça serait fort utile quand j’irai voir Napoléon d’Abel Gance.
Voir un film au cinéma complique ma vie et mon quotidien. Une séance s’incruste péniblement dans mon emploi du temps. Depuis que j’ai installé un écran de projection avec enceintes chez moi, je dois bien avouer que je ne vois plus l'intérêt des salles de projection publiques. En tant que spectateur, c’est une reprise évidente de contrôle que d’avoir accès au bouton « pause » ou « lecture » ; il m’arrive régulièrement de vouloir repasser un extrait, de mettre en pause le temps de faire autre chose, comme apaiser ma vessie de grand-père. Depuis quelques années, je regarde des films comme je lis des livres, en prenant mon temps, à mon rythme, dans mon canapé avec un plaid. Je n'ai plus envie de concéder mon confort.
J’arrive au cinéma, m’installe comme à mon habitude au premier rang, seul endroit où je peux étaler mes membres inférieurs sans encombre, et le film commence.
Je crois être resté environ une heure vingt dans la salle. Je suis sorti un peu après la scène de couronnement de l’empereur. Les scènes s’entrechoquent sans jamais s’additionner, les conséquences ne semblent pas exister tant le film ne prend pas le temps de développer quoique ce soit. J’ai trouvé le film étonnamment nul. Avec du recul, je me demande si un jour Ridley Scott a fait un bon film ; je n’aurais pas dû aller voir ce film. Je n’ai pas adhéré à grand chose tant le vide créatif est présent. Si je dois avouer que la petite musique arabisante pour signifier la campagne d’Égypte m’a beaucoup fait rire, surtout quand je regardais la décoration du Louxor, je me suis tout de même largement ennuyé. C’est globalement mal fichu. Que ce soit les titres à la plume redondant, le découpage technique lunaire tant Ridley Scott déploie trop de caméras pour filmer l’action rien ne marque un geste de réalisation. Quant aux scènes de batailles, je n’ai vu que quelques bribes car j’étais déjà rentré chez moi pour la bataille d’Austerlitz.
Je ne me sens absolument pas concerné par les personnages. Tout semble anecdotique, comme à peine traversé. Le film manque de saisir une intériorité dans le personnage de Napoléon. Cela m'a fait penser à Blade Runner qui souffre du même défaut. Ridley Scott semble incapable de saisir l’émotion sur le visage de Harrison Ford ou de Joaquin Phoenix.
En traversant Barbès pour rentrer chez moi, je réfléchissais à ce que j’allais bien pouvoir écrire sur Napoléon de Ridley Scott, car j’ai bien peu de choses à dire sur ce film. Ma mauvaise foi est peut-être suffisante et vu que j’aime râler, écrire pour dire que j’aime râler me semble être un programme relativement satisfaisant. Je m’installe sur le canapé et note quelques trucs à la volée sur mon ordinateur pour ne pas oublier l’insoutenable vide de ce film. En faisant quelques recherches je découvre que le film sera peut-être disponible sur Apple TV dans une version plus longue. C’est toujours un peu étrange de voir que les plateformes envahissent à ce point les circuits de diffusion en piratant la chronologie de diffusion. Je me demande quand est-ce que l'État se bougera pour changer les lois : accepter les conditions de Netflix ou Amazon n’est pas la solution, on leur offre la possibilité d’obtenir un catalogue quasi exhaustif des films détruisant les offres des salles. Je ne crois pas que les cinémas soient des sanctuaires à préserver, mais je me demande comment cette industrie peut crever alors que, paradoxalement, elle n’a jamais produit autant de films. La question que je me pose constamment est la suivante : comment doit-on regarder les films ? Jusqu’à présent la grande majorité de ma cinéphilie s’est construite avec des DVD, des making-of et du téléchargement et streaming illégaux. Je trouve aberrant cette pression que génère la grande offre de films en salle. J’ai l’impression qu'au-delà de trois semaines de diffusion, les films meurent petit à petit. Peut-être ai-je cette sensation parce que je débarque à Paris, mais cette pression de devoir suivre les tendances et l’actualité cinématographique est bien présente. J'ai pour habitude de regarder les films en rediffusion ou je les télécharge, des mois, voire des années après leur sortie.
Je ne partage pas le discours alarmiste quant au fait que les salles n’attirent plus les spectateurs. Ce discours m’agace car il est factuellement faux : si on laisse de côté 2020 et 2021, on constate que la fréquentation des salles n’a pas, ou peu, bougé ces vingt dernières années. Alors, foutez-moi la paix, et laissez moi regarder le dernier Kaurismäki dans ma chambre.
Créée
le 7 déc. 2023
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