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Native Son
5.6
Native Son

Film de Rashid Johnson (2019)

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Le plus grand combat est à l'intérieur

Ce film m'a été recommandé par Mgkj après notre échange sur le cas Queen & Slim, film qui nous montrait l'oppression systémique de la communauté noire comme une évidence, pamphlet à charge de la police dans son ensemble et de la précarité de la condition noire aux US. C'était d'un militantisme assez violent qui pouvait se constater facilement par le nombre de clichés militants qui parsemaient son histoire. Native son est déjà plus subtil car malgré ses tics et ses tentations, il se focalise plutôt sur un véritable combat, avant de flancher et de se laisser aller aux penchants qu'il essayait soigneusement d'éviter.


Les deux premiers tiers auraient mérités davantage que la moyenne. D'emblée notre protagoniste, Bigger Thomas, jeune noir d'une communauté pauvre de Chicago, nous est présenté comme un jeune noir intelligent, qui a la volonté de faire les bons choix. C'est d'autant plus difficile quand on est pauvre (et que les ambitions ne dépendent que des rares opportunités qu'on crée ou qu'on déniche), et qu'on a quelques préjugés communautaires bien ancrés dans l'esprit (Bigger arbore quelques messages anti-blancs tagués sur son blouson, il s'interroge sur le poids de sa couleur de peau et son exclusion sociale, il se voit au coeur de la foule comme quelqu'un de fort potentiel (contrairement à tous ces rats qui grouillent autour) qui doit faire attention et aller loin...). Même si on sent qu'il est influencé par son milieu communautaire pauvre et qu'il cultive un optimisme un peu idéaliste, il est, à ce stade, confronté aux difficultés réelles de la banlieue. Il consomme légèrement de la drogue (un système que les puissants ont apportés pour faire d'eux des esclaves (car les blancs toxicomanes, ça n'existe pas)), et doit résister à une consommation excessive. Il se voit proposer du travail par des dealers (qui sont ses proches) et refuse. Ses amis veulent organiser un braquage, et se braquent peu à peu devant ses refus en l'accusant d'être le larbin des blancs... Le film met le doigt sur un problème fondamental au coeur du communautarisme et de la banlieue (qui cumule pauvreté et communautarisme) : la pression communautaire pour rester dans le bain de la communauté, à tout focaliser sur la communauté et ne dépendre que d'elle, même dans ses fonctionnements mafieux. Bigger, même s'il patauge dans ses illusions de racisme systémique, fait face aux vrais dilemme des jeunes de banlieue, et a la volonté d'en sortir. C'est ce qu'il faut retenir du film et promouvoir, dépasser sa condition, c'est se dépasser soit même et reprendre des cartes dans le jeu peu fourni qu'on s'est vu distribué à la naissance. Même malgré le biais communautariste, il y a la volonté de s'intégrer dans une société plus vaste et de jouer selon des règles communes.


Vient le chapitre du nouveau travail de Bigger, devenir le chauffeur d'une famille blanche riche. Dès le début, la bienveillance est là, ce qui rend les choses bizarrement suspectes (cela passe beaucoup par l'ambiance sonore et la musique, notamment durant la séquence où l'épouse de son employeur se montre cordiale en refusant de lui serrer la main). Mais, et c'est là un parti pris du film, jamais elle ne sera remise en cause, et pour le coup, les riches blancs, sans partager de conviction politique franche, sont effectivement montrés comme les paternalistes bienveillants qu'ils veulent être. Oui, comme ils payent, ils sont les maîtres et donnent les instructions, mais ils font régulièrement des efforts pour rendre la situation humaine, désamorcer les tensions et mettre à l'aise leurs employés. Mais la place est réellement une chance et un tremplin potentiel. A ce stade, le film est presque optimiste dans la façon dont les choses se passent, jusque dans l'activisme bourgeois de la fille des employeurs, fille de riche qui ne perd pas une occasion d'étaler sa conscience sociale pour faire chier ses vieux en parlant de l'oppression des minorités, du carcan de la religion et de toutes ces valeurs que respectent ses parents qui lui prodiguent un cadre de vie suffisant pour dégueuler son mépris tout les jours avant d'aller s'éclater en boîte la nuit avec la coke et la boisson qui tourne dans ses larges cercles d'amis. A ce stade, le film était d'une honnêteté troublante, entre les parents bonne patte qui encaissent les agressions verbales en se disant que c'est une période qui passera pendant que leur progéniture tâcle leur style de vie en oubliant qui paye et ce qui fait vivre. Dans ce tableau de famille, Bigger joue un bon rôle de tampon social en essayant de tempérer les excès de Mary Dalton pendant qu'il passe du baume à ses employeurs, tout en accomplissant ses tâches et en résistant aux assauts verbaux de ses amis qui le taxent de nègre de maison. C'est déjà un combat de vie, mais hélas, ce n'est pas la conclusion.


La conclusion, c'est que quoique vous fassiez, vous retomberez là où vous deviez finir par atterrir. Peu importe vos efforts ou vos choix, si vous faites partie d'une minorité, vous tomberez à la première merde venue. Ou comment annihiler un début de discours sur le dépassement de soi et de sa condition pour s'élever en société, pour s'abaisser à se trouver des excuses pour son échec et ses mauvais choix. Réécoutez le discours de Rocky Balboa à son fils plutôt. Toujours montrer qu'on vaut davantage que ce qu'on prévoit sur vous. Ici, un accident a lieu (je ne spoilerai pas), et Bigger, par peur des circonstances et des préjugés qu'il suppose que ses employeurs et que le système a sur les noirs et les minorités, fait le choix le plus louche de sa vie. Même en état de peur, rien ne justifie son choix en dehors de ses propres préjugés, qui sont qu'on ne croira jamais un noir


responsable d'une jeune blanche retrouvée morte par overdose (oups, trop tard, spoilé)


. Alors il a des chances de perdre sa place, mais a-t-il autant de chance de la garder après les conséquences de son choix ? Autant dire qu'à partir de ce moment, le film dérape complètement et part en couille, remplaçant son message de "bougez vous pour améliorer votre vie" par "de toute façon, c'était couru d'avance et trop beau pour être vrai...". S'ensuit cette scène hallucinante où il ment à la police tout en pensant intérieurement qu'ils gobent ses mensonges parce qu'il joue le bon nègre, parce qu'ils ont la mentalité d'esclave... Succédant finalement à la bonne bavure policière des familles, avec un blouson des black panther pour politiser l'affaire et bien faire progresser la lutte communautaire... mais de quelle façon ? En boostant les statistiques ? En rejoignant à bras ouvert le militantisme communautariste dans sa dernière demi-heure, le film trahit tout ce qu'il avait voulu mettre en place pour verser dans un misérabilisme douteux, puisqu'il déresponsabilise Bigger pour le seul mauvais choix qu'il a fait. Trahissant finalement son optimisme pour mieux rallier les causes communautaires, Native Son alourdit considérablement son discours avec son bilan, qui hélas ne laisse aucune place au mérite de ceux qui ont effectivement réussi à se sortir de la pauvreté par l'accumulation de leurs efforts (et éventuellement quelques coups de pouce). Un gâchis modéré par sa majeure partie plutôt plaisante et des qualités visuelles appréciables, sans parler d'un jeu d'acteur sans bavures.

Voracinéphile
5
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le 11 avr. 2020

Critique lue 874 fois

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Voracinéphile

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