Quiconque a lu Native Son de Richard Wright a connu ce moment de grand vide, ce moment dans le livre où le personnage plonge dans une abysse qu'il contemple depuis le début du livre, et la grande chute qui suit, infernal et brutale. Le personnage n'a pas d'excuse, pas de rédemption, sa condition n'est pas la cause de ses actions. Il devient simplement ses instincts, un désir de survie tellement fort qu'il tue tout ce qui l'approche.
Mais dans le film rien de tout ça, Bigger n'est pas une bête incapable de comprendre le monde et la violence à l'intérieur et à l'extérieur de lui, ici Bigger est un jeune homme éduqué, autodidacte et conscient de sa réalité. C'est bien, c'est joli, c'est poli, mais c'est pas le but de Wright. Son but est de révolter, de nous mettre le visage dans la merde de notre société, dans l'horreur qu'on tolère, qu'on accepte, pire qu'on réclame. Le livre dégoute et subjugue là où le film excuse et pardonne. On retire l'horreur du démembrement de cette gamine condescendante dans sa politesse, on sauve la copine de Bigger d'une des morts les plus brutale et abjecte de la littérature noire (et oui ça inclut Toni Morrisson), et pire que tout on oublie l'hypocrisie de Walton vis-à-vis de la communauté noire qu'il exploite et parque comme des bêtes dans des ghettos.
En retirant l'œuvre de son époque, on en efface l'horreur, en retirant à Bigger sa naïveté et son manque totale d'éducation, on fait de lui un martyr du monde plutôt qu'un martyr de l'âme.
Si ce n'était pas pour le jeu d'acteur plutôt très bon (mais parfois très mauvais, mention spéciale à la "bagarre") et une bande-son soignée et précise, ce film serait d'une faiblesse consternante.
A24 studio prend toujours des risques, toujours, et forcément des fois ça ne passe pas. réadapter Wright à l'époque moderne était un pari impossible d'après moi, donc je félicite la prise de risque mais pas l'échec.
Native Son ne peut pas plaire à ceux qui n'ont pas vu le livre, il y est trop attaché, mais il ne peut pas non plus plaire à ceux qui ont lu le livre, car le film a choisi d'ignorer les moments d'horreur, leur catharsis et leur impact. Certaines histoires sont faites pour jaunir parmi leurs pages, Native Son est une de ces histoires. Lisez le livre, vous en sortirez brisé et meilleur.