Dans le grand catalogue des films d’animation auquel on colle rapidement l’étiquette du studio de Totoro, Nausicaä de la vallée du vent constitue un léger intrus. Car ce film a vu le jour un an avant la fondation du studio d’Isao Takahata et Hayao Miyazaki en plus d’être réalisé par un autre studio d’animation, Topcraft. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’il sera inclus dans le catalogue des studios et que nous auront, nous les mangeurs de baguettes fraîches, à une sortie dans nos salles en 2006 avec un doublage français fidèle au film (les USA ayant livré une version tronquée ridiculement renommé La princesse des étoiles en 1991 et coupé pour durer qu’une heure et vingt minutes).
A mes yeux, Nausicaä est aussi bien l’œuvre qui m’a fait découvrir Ghibli qu’il m’a fait aimer le génie de l’animation japonais. Avant d’être un film, c’est surtout une bande-dessinée en 7 volumes et un univers aussi large et complet qu’il est très avant-gardiste sur l’état actuel de notre monde sur notre écosystème. Débuté en 1982 et achevé 10 ans après la sortie de l’adaptation en film et même plus dure à bien des reprises, j’encourage sauvagement à les découvrir pour quiconque ayant aimé un temps soit peu le film tiré de ces mangas, même ceux qui n’y sont pas familier.
Si Princesse Mononoké, Le Conte de la Princesse Kaguya et Si tu tends l’oreille font partis de mon top 3 de mes Ghibli favoris, Nausicäa pourrait très bien s’y introduire un jour. Car tout fonctionne quasiment sans qu’on ne ressente une réelle fausse note et c’est le genre de film qui reste intemporel.
Ce film ayant d’ailleurs une recette qui fera l’âme des nombreuses œuvres de Miyazaki et du studio : à commencer par Nausicäa, la princesse de la vallée du vent, une figure de la femme forte et débrouillarde, mais aussi sensible et avec un temps à l’écran dosé comme il faut pour la rendre identifiable et attachante, que ça soit sont amour pour son peuple ou les insectes protégeant la forêt. J’en ai vu que certains la considéraient comme trop parfaite en tant qu’héroïne voire même un peu trop naïve, n’empêche : on la voit prendre les armes sous le coup de la colère en plus d'avoir justement une idéologie naïve et qui ne s'adapte pas à toutes et à tous, et elle n’étouffe jamais les autres personnages par sa présence tout au long du récit.
Car c’est l’une des principales forces des long-métrages d’animation du vieux Miyazaki : laisser chacun de ses personnages vivre, respirer et jouer chacun leur rôle au sein de chacune de ses histoires (fable écologique comme film anti-guerre ou autre, un autre élément de fabrique du studio) en donnant à tous un minimum de bon sens comme de logique dans leurs actes, y compris en rapport avec l’univers post-apocalyptique établi ici. Des plus secondaires (Kurotawa le second de la princesse Kushana comme Mito du village de la vallée du vent) aux principaux protagonistes (Yupa le guerrier du village et Kushana la princesse du peuple Tolmèque) d’une guerre menant inexorablement le reste de l’humanité vers le déclin tandis que certains tentent tant bien que mal de survivre face à la faune et la flore environnant recouvrant de plus en plus une terre pollué et incurable en apparence.
Faune et flore qui bénéficie tant bien d’un travail d’atmosphère et artistique exceptionnel dans les moyens engagés pour l’animation qu’une mise en scène de qualité. Une immersion qui se ressent rien qu’au travail sur les plans, à l'image de celui ou l’on voit littéralement Nausicäa être écrasée et réduit à l’état de fourmi face à la taille d’une peau d’Ômu ayant mué, ou même les décors de la forêt dans lequel s’empêtre nos personnages et les plans dans lequel chacun d’eux est constamment réduit à l’état d’insecte (remarque ironique quand on sait que la forêt est protégé par des insectes).
Un travail d’immersion renforcé par le travail musical de Joe Hisaishi qui marque ici sa première collaboration avec Miyazaki et restera à l’orchestre à chacun des films du cinéaste. Variant ici entre les morceaux au synthétiseur comme quelques pianotées à l’orgue et déjà une présence de l’instrumentation très symphonique typique d’une grande partie de ses travaux musicaux sur l’ensemble des films du studio Ghibli. Allant même jusqu’à faire une reprise de Sarabande d’Haendel lors d’une des scènes clés (une des très nombreuses belles scènes du film) de manière à l’adapter à l’instrumentation global de Nausicäa ainsi qu’au visuel et son environnement.
Ces mêmes décors, ainsi que ces diverses créatures peuplant la foukaï, sont chacun mis pleinement au service du récit et du conflit entraînant un petit peuple à la base indifférent face à la folie guerrière des hommes cherchant une issue désespérée face à une fin inexorable qu’ils ont eux-mêmes déclenché. Peuple qui s’apparenterait plus à un village de campagne qu’à un vrai peuple par rapport aux Tolmèques et à Pejite. Et qui se retrouve contraint de participer plus ou moins directement à l’effort de guerre sans avoir rien demandé, une intention de comparaison qui je pense était voulu par Hayao Miyazaki lorsqu’il a réalisé ce film à mon avis.
Mais malgré cela, Nausicaä de la vallée du vent ne lorgne pas dans la voie du défaitisme ni vers une fin inévitable. Car Hayao Miyazaki y incorpore deux détails qui finissent par faire une grande différence : la variation de ton et la gestion du rythme. Ce dernier étant toujours quasi impeccablement adapté à chaque scène et coup de théâtre, les moments de pression comme les instants d’espoir ou de désespoir, et le ton allant du mystique (le face à face entre Nausicäa et un Ômu) et de l’appréhension à la bon humeur global (le retour de Yupa au village) donnant une légèreté ainsi qu’un optimisme suffisamment dosés pour ne pas faire de l’ombre à la gravité du contexte dans lequel évolue ces personnages.
Enfin, un petit mot au sujet du doublage, car ça me procure toujours un énorme bol d’air frais de pouvoir suivre un doublage entièrement dénué de célébrité et qui ne reposent pas sur leur présence, contrairement à des productions animées américaines plus médiatisées. Que ça soit la voix douce et innocente d’Adeline Chetail dans la peau de l’héroïne, la voix pleine d’assurance et d’engagement de Laurence Bréheret ou encore celle aussi imposante qu’il peut être sage du regretté Patrick Floersheim.
Sans trop m’étendre davantage, je ne peux que me réjouir de voir la popularité du film avoir prit forme auprès des fans du studio comme de ceux qui sont moins adepte de l’animation japonaise. Comme pour un Star Wars III : La Revanche des Siths ou Brisby et le secret de Nihm dans un autre genre, je conserve une énorme affection pour ce film comme ses mangas dont il est issu.
Les studios Ghibli n’ont pas encore vu le jour, mais un grand homme au talent indéniable vient de s’imposer et s’apprête à remettre le couvercle lors de la naissance du studio.