J'aime beaucoup la veine un peu classique (le qualificatif est très clairement inapproprié en parlant de ce réalisateur, mais dans une acception relative, il peut être un peu moins insensé que ce qu'on pourrait penser) de Luis Buñuel, tout particulièrement dans sa période mexicaine — le dernier film en date a m'avoir autant plu et ému étant "Los Olvidados". Buñuel se concentre sur la vie du prêtre débordant d'humilité Nazarin, exerçant son sacerdoce dans un quartier particulièrement pauvre de Mexico : avec une telle configuration, on s'attend à voir quelques étincelles de la part du trublion amateur de saillies iconoclastes et provocatrices.
Le protagoniste est un modèle de perfection, dans un premier temps, totalement dévoué à sa cause, avec un sens du renoncement et de la charité absolu. Mais ce dévouement sans limite se développe dans un tissu social très particulier, dans une misère profonde sur laquelle Buñuel s'appuie pour remuer le couteau dans la plaie. En dépit de son intégrité qui ne connaît pas de limite, ou précisément à cause de cette dernière (c'est là qu'on reconnaît la dimension satirique), il sera désavoué par l'église, condamné à l'errance, sans cesse persécuté, le long d'un chemin de croix symbolique : toutes ses tentatives de bonté se retourneront contre lui.
Geste étonnant de la part d'un réalisateur qu'on connaît bien davantage enclin à railler la chose religieuse, et non à la filmer avec autant de gravité. Mais c'est pour mieux la confronter à la dimension tragique et matérielle de la réalité, loin du surréalisme qui fera le sel de sa période française par exemple, au début des années 70. Ici on baigne dans des connotations christiques sans que ce soit désagréable à l'œil d'un non-croyant, avec beaucoup de matière pour alimenter la contradiction et l'équivocité. Une période à laquelle il employait des nains et des infirmes, symboles d'une sous-humanité dominée par les gens dits normaux — de manière beaucoup plus sobre et subtile qu'un Jodorowsky. On se croirait presque dans une relecture de Don Quichotte, avec la folie grandissante de Nazarin, un inadapté dans un monde barbare régi par l'hypocrisie et l'égoïsme.