Prime Cut
On pourrait jurer qu'il s'agit d'une énième itération du film low budget nippon comico-gore de zombies mais bien heureusement, c'est plus que ça *. Le bon buzz galopant, de son succès au Japon...
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le 26 déc. 2018
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Ne coupez pas !, c'est avant tout une origin story comme on ne pensait plus en voir : un long-métrage tourné en huit jours avec des moyens dérisoires et des acteurs inconnus qui, après une sortie confidentielle dans une seule salle, acquiert sa réputation par le biais du bouche-à-oreille et des festivals pour finir par être programmé à travers tout le Japon. Après y être devenu un petit phénomène et avoir enregistré plus de deux millions d'entrées, voilà qu'il s'élance aujourd'hui avec confiance sur le marché international. Cette trajectoire hors du commun s'explique toutefois sans peine à la vue du film, comédie aux facettes multiples et à l'efficacité désarmante. Il se révèle ainsi aussi redoutable qu'il est inattendu, et pour cause : il n'est guère possible d'expliquer l'engouement qu'il suscite sans révéler le ressort narratif qui en fait toute la sève.
C'est qu'il faut s'armer de patience pour que se révèle son véritable visage, après une introduction composée d'un plan-séquence de 37 minutes aussi malhabile qu'il est nécessaire, en l'état, à la suite de l'intrigue. Cette entrée en scène n'est pourtant pas tout à fait désagréable, puisqu'il se dégage un certain charme de son côté fauché assumé qui relève du pastiche. Bien qu'il ne s'agisse pas de found footage, la caméra n'étant pas dans la diégèse, on en reconnaît tous les codes, dont l'incongruité ici prête à sourire : l'image bave, l'objectif tremble, prend des coups, des éclaboussures, tombe au sol, et s'embrase même de quelques regards caméras. Les acteurs, quant à eux, semblent quelquefois perdus, récitant des dialogues maladroits, mais cette gêne précisément leur confère une dimension familière et attachante. Cependant, il ne s'agit bel et bien ici que d'un prélude.
La rupture tardive qui intervient ensuite n'est d'ailleurs pas sans rappeler le singulier Hime-Anole de Yoshida Keisuke qui, après une quarantaine de minutes d'une comédie romantique un peu niaise, basculait dans le thriller glauque et impitoyable. S'il n'y a pas ici de changement de genre, puisque l'on reste de bout en bout dans le registre comique, une fracture tout aussi brutale s'opère en termes de point de vue... et de qualité de réalisation. Pas de dissonance de ton, donc, mais le surgissement d'un plan fixe, net, bien éclairé, qui détonne profondément aussitôt qu'il apparaît à l'écran. Une seconde suffit pour que le public réalise qu'il a été piégé, et que l'on peut désormais rentrer dans le vif du sujet. A ce stade, le spectateur prospectif qui souhaiterait maintenir intacte la surprise serait bien avisé de ne pas chercher à en savoir plus avant la projection.
Alors que démarre la deuxième partie du métrage, on s'aperçoit en effet que ce que nous avions jusque-là sous les yeux n'était pas le film lui-même, mais son objet. Nous pensions suivre un tournage ; nous suivons en réalité le tournage d'un tournage, et nous sommes dès lors plongés dans les coulisses du plan-séquence auquel nous venons d'assister. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le pari est osé : la ruse n'est pas nouvelle - Sono Sion l'avait notamment fait assez longuement traîner dans Antiporno -, mais la pousser jusqu'à accoucher d'une oeuvre complète et cohérente en introduction est proprement remarquable. L'astuce fonctionne d'ailleurs d'autant mieux que la genèse quasi-mythique de la production - associée à l'idée préconçue qu'on peut avoir d'un certain cinéma japonais d'exploitation - rend ce début crédible en tant que produit fini.
Pour l'heure suivante, on revient heureusement à une réalisation plus conventionnelle, où l'on retrouve non sans un certain réconfort les codes de la comédie, que ce soit en termes de jeu ou de mise en scène. Les sketches s'égrènent alors que, catapultés un mois en arrière, nous suivons Takayuki, un réalisateur sans envergure qui se voit confier le projet de réaliser un film de zombies en plan-séquence qui sera retransmis en direct à la télévision. Entre l'acteur de drama orgueilleux, l'idol superficielle ou le second couteau alcoolique, il se voit pour cela assigner une équipe criblée de tous les clichés - et des blagues qui vont avec. A ce stade, on reste encore sur sa faim, avec ce second chapitre très différent mais encore tout à fait passable. Il procède pourtant à mettre en place les pièces maîtresses d'un acte final dans lequel Ne coupez pas ! va s'envoler pour de bon.
Alors, elle arrive enfin, la récompense pour le spectateur persévérant qui a su garder le cap à travers le film d'horreur boiteux et la comédie banale : les deux se rejoignent tandis que l'intrigue nous ramène au tournage du début, vu cette fois à travers la lentille des équipes techniques. Cependant, il ne s'agit pas tant là d'un prolongement de la seconde partie que de sa résolution : le puzzle a été minutieusement préparé, et toutes les pièces s'assemblent enfin. En découvrant les revers du tournage, toutes les maladresses du plan-séquence d'introduction s'élucident, alors que les acteurs et techniciens s'échinent à rattraper du mieux qu'ils peuvent les divers déraillements auxquels ils doivent faire face. C'est là, dans cette accumulation de gags aussi invraisemblable qu'hilarante, que Ne coupez pas ! prend sa véritable dimension, intelligente et ultra-dynamique.
Ce tournage qui vire à la catastrophe, mais qui se poursuit malgré tout en vertu de l'impérieux "Ne coupez pas !", rappelle celui mis en scène par Sono Sion dans Why Don't You Play In Hell?, où un cinéaste raté suit une authentique guerre entre yakuzas. Ainsi, dès la première partie, le contraste truculent entre l'équipe dépassée par les événements et le réalisateur débordant d'enthousiasme alors qu'il enregistre la débandade caméra à la main donnait déjà l'envie de qualifier Ne coupez pas ! de "petit frère" de Why Don't You Play In Hell?. Une fois l'entièreté du scénario déroulée devant nos yeux, le sentiment de fraternité semble plus fort encore, mais plus question de recaler le travail de Ueda Shinichiro au rang de benjamin fébrile : ce serait nier la réussite de son concept, qui en fait une oeuvre à part et lui donne ses propres arguments à défendre.
Ce qui est certain, c'est que ces deux comédies ont en commun de clamer, à pleins poumons, une véritable déclaration d'amour au cinéma, à travers une irrépressible montée en puissance qui explose dans leurs dernières parties survitaminées. Ici, cet hommage au septième art passe avant tout par la maestria des chorégraphies des techniciens, qui exécutent un rocambolesque ballet dans le hors-champ du plan-séquence dans leurs tentatives désespérées pour garder celui-ci à flots. Ces tours de passe-passe nous rappellent, avec humour et tendresse, combien l'élaboration d'une oeuvre audiovisuelle est un travail complexe et minutieux, et que les équipes qui les bâtissent sont pareilles à des fourmilières enfouies, ou à de gigantesques icebergs dont on n'aperçoit jamais que la partie émergée. Et dire qu'il en faut encore une autre pour filmer tout cela...
Ne coupez pas ! fait ainsi preuve d'une ingéniosité rare, prenant le spectateur au piège de son filet pour mieux lui donner à en rire par la suite. Il est en effet extrêmement jouissif de retrouver sous un jour nouveau les scènes qui nous avaient d'abord mis mal à l'aise par leur balourdise, leur signification cocasse enfin révélée dans un final en forme de feu d'artifice - plus question, alors, de reprendre notre souffle ! En outre, il est exaltant de découvrir cet envers du décor qui, en dépit des épreuves, reste debout grâce à la solidarité, la passion et la débrouillardise de ceux qui le tiennent à bout de bras. Un ultime clin d’œil leur est d'ailleurs lancé au moment du générique, qui révèle une couche de plus de la matriochka en laissant entrevoir quelques images du tournage - le vrai de vrai, cette fois... ou bien nous leurre-t-on encore une fois ?
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le 6 déc. 2018
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