S'il n'a pas vraiment confirmé depuis 2006, les débuts de Guillaume Canet en tant que réalisateur étaient plutôt prometteurs. Après s'être attaqué à la satire télévisuelle avec le sympathique Mon idole (2002), Canet s'associait à nouveau avec Philippe Lefebvre pour adapter le roman phare d'Harlan Coben (2001). Si les droits étaient allés un temps à Michael Apted (réalisateur de Cœur de tonnerre) pour un projet hollywoodien, ils furent rendus à Coben qui les a ensuite donné à Canet, désireux de se charger de l'adaptation depuis quelques années. Des modifications ont été effectué, dont des éléments de conclusion qui n'ont pas posé problème à l'auteur.
Canet a tout fait pour avoir François Cluzet en rôle principal, ce qui a été un peu compliqué au premier abord. Si l'acteur avait déjà une grande expérience (L'Enfer de Claude Chabrol peut en attester), il n'était pas forcément un acteur bankable. L'insistance fut bénéfique, puisque Cluzet (récompensé aux César pour l'occasion) s'avère très convaincant. Loin de la caricature du râleur intensifié depuis Les petits mouchoirs (Canet, 2010), Cluzet est crédible en personnage lambda se retrouvant dans une situation extraordinaire. Il n'a rien d'un homme d'action.
Lors de la mort de sa femme (Marie-Josée Croze), il est sévèrement tabassé. Lors de l'interrogatoire dans la camionnette, il subira les coups de Mika'ela Fisher et même son entrevue avec Jalil Lespert n'en fait pas un homme fort. Même la poursuite à pied montre seulement un gars essayant de s'en sortir, se cassant même la figure au détour d'une flaque. C'est ce qui rend l'identification au personnage aussi facile : n'importe qui pourrait être à sa place.
La profession du personnage n'est d'ailleurs pas sans rappeler le plus célèbre des fugitifs : si Richard Kimble était chirurgien, Alex Beck est un pédiatre respectable et respecté (d'où sa relation avec le gangster joué par Gilles Lellouche). De même, bien qu'il aime sa femme, c'est lui qui devient le principal suspect du meurtre. La différence étant que Beck est accusé bien des années plus tard et alors que différents éléments refont surface.
Le complot autour de Beck est lié à des événements antérieurs et touchant trop de gens importants. La conclusion fait un peu trop résumé, le spectateur bouffant de l'information en moins d'un quart d'heure au point de devoir être attentif aux différents éléments. Néanmoins, l'intrigue est suffisamment prenante pour se prendre au jeu, d'autant plus que le spectateur ne saura la vérité sur la mort de Margot qu'au bon moment, permettant de douter de la fameuse vidéo de l'e-mail.
Outre Cluzet, le reste du casting s'avère convaincant, y compris certains acteurs en contre-emploi. Canet ne s'offre pas forcément le plus beau rôle, souvenirs d'une parfaite ordure. Jean Rochefort parle peu et est finalement peu présent en physique, mais sa présence tentaculaire est omniprésente du film. Un homme de pouvoir sans scrupule prêt à envoyer ses chiens pour tuer quiconque se met en travers de sa route. Gilles Lellouche en fait probablement trop en malfrat, mais il s'avère un minimum correct et sans tomber dans la grande caricature type gangsta rap chère à la période (si l'on excepte le look). André Dussollier étonne également. Malgré les faits, le personnage ne paraît jamais sympathique, homme rongé par l'affaire et mouillé jusqu'au cou.
La poursuite à pied est un beau morceau de bravoure. Parvenant à faire fermer le périphérique parisien durant une journée, Canet convainc en jouant sur le spectaculaire, tout en collant à son personnage aussi bien par les mouvements de caméra (principalement de la steadycam) que par le montage. La musique d'M correspond assez bien au ton mélancolique du film et s'avère plutôt élégante.
Ne le dis à personne n'est pas le thriller du siècle, mais il est particulièrement prenant et fonctionne sur plusieurs visions (vous connaissez la conclusion, mais vous y reviendrez avec plaisir). Si le film est estampillé Europacorp, il n'a heureusement pas les défauts habituels des productions maisons, notamment le montage épileptique (cf L'Immortel de Richard Berry). Ce qui en fait une des rares bonnes choses sorties du studio de Luc Besson (pas beaucoup, mais ça existe).
Il avait également été un beau succès commercial avec plus de 3,1 millions d'entrées, prouvant que le thriller hexagonal peut encore faire le plein tout en étant bien accueilli. Il en sera de même aux César où il obtiendra 3 autres statuettes en plus de celle de Cluzet. Les américains ont essayé de le refaire, ils n'ont pas réussi.