Ne te retourne pas par Lucas Vuilleumier
Le dernier film de Marina de Van, Ne te retourne pas, est double, piètrement double. A tous les niveaux. De par ses deux personnages qui n'en font qu'un – Sophie Marceau se transforme en Monica Bellucci –, mais également par cette oscillation indécise qu'il impose au spectateur, entre deux genres, deux thématiques et, donc, deux niveaux d'appréciation entre lesquels il devient confus de se situer.
Sophie Marceau incarne Jeanne, une jeune mère de deux enfants se voyant refuser son premier roman, une sorte de recueil de souvenirs d'enfance. L'éditeur semble déplorer les descriptions cliniques, froides, qui lui apparaissent comme détachées de leur auteur. Et pour cause : un grave accident a fait perdre au personnage de Marceau tous ses souvenirs avant l'âge de huit ans. Elle a donc dû, et non sans douleur, se composer une enfance avec les fragments rapportés par sa mère, interprétée par l'excellente Brigitte Catillon.
Dès lors, la vie de Jeanne se délite. Tout ce qui lui est familier change de forme, de couleur : de la table de sa cuisine au visage de son mari et de ses enfants, c'est l'univers d'une autre qui lui apparaît tout entier, avec la somme de troubles qu'une aussi incompréhensible métamorphose peut provoquer.
C'est donc à ce moment-là que vient se greffer, par petites touches, le visage de Monica Bellucci sur celui de Sophie Marceau. Celle-ci finit d'ailleurs par disparaître complètement sous les traits de la belle italienne.
S'ensuit alors une poursuite un peu molle d'un passé en eaux troubles sous le soleil d'une petite bourgade italienne, pour dénouer cet imbroglio qui vacille du passionnant au grotesque...
Le problème du film vient de l'explication de cette étrange mutation. C'est donc à Bellucci que Marina de Van a confié le sale boulot. Le début du film n'a rien de dérangeant, Marceau fait jouer ses talents d'actrice pour pallier les défaillances du scénario qui, s'il semble avoir été très travaillé du point de vue de l'intrigue, a été littéralement bâclé pour ce qui est des dialogues. On se surprend parfois à rire tant l'absurdité de certaines phrases tranche avec le caractère dramatique du fond. Et, justement, cette spirale alambiquée qui fait s'enchevêtrer l'histoire des deux femmes comporte elle aussi quelques maladresses. Car, lorsqu'il s'agit de liens familiaux, il devient irréparable pour la qualité du film de laisser passer une seule erreur généalogique.
Marina de Van a voulu jouer sur la force des phénomènes de l'inconscient. Elle a voulu filmer, à rebours, le résultat psychique d'une forte amitié qui vire à une trop forte identification à l'autre. Dès lors, son film aurait pu se contenter du statut de bon thriller psychologique, et l'on aurait considéré ce changement de visage et de corps comme l'aveuglement provoqué par l'inconscient. Comme si Marina de Van avait placé sa caméra dans la tête de Bellucci (oui, car c'est elle, ne vous fiez pas aux apparences, qui a un véritable problème !). Mais il a fallu qu'elle recoure à de bien piètres effets spéciaux opérant de longs morphings sur le visage de Sophie Marceau, qui, précédée de son mari, devient monstrueuse, flanquée d'une joue et d'un oeil appartenant à sa collègue italienne. Pire encore, la scène de transformation définitive, pendant laquelle Marceau ou Bellucci (on ne sait plus) endure une terrible douleur, accentue cette indécision entre deux explications - celle, encore plausible, du pouvoir de l'inconscient, confrontée à l'issue facile du fantastique.
Pour signifier quoi ? L'âpreté du retour à la réalité, du retour à soi et de la fin d'une indentification destructrice ? De ce point de vue-là, je serais presque prêt à défendre le film. Mais cela ne va pas de soi. Il eût fallu plus d'élégance, que le trait soit moins forcé, moins grossier car, avec cet objet cinématographique difficilement identifiable, Marina de Van, enrobant son propos abscons d'une lourde couche de ridicule, a réussi le pire : destituer ses deux muses d'une part de leur beauté.