A l'arrivée de Benoît Delépine dans la salle du Majestic (Lille), il nous annonce en toute humilité que Near Death Experience n'a été diffusé qu'à la Mostra de Venise, la semaine dernière. C'est donc à une vraie et inédite avant-première que j'allais assister, en compagnie d'Eggdoll ; j'avoue avoir ressenti quelques trépidations contentes et cinéphiles dans mon coeur en regard de cette exclusivité (qui, très vite, n'a plus été, voire n'a jamais été, de sorte à faire encore plus houellebecquien).


Depuis des années, nous sommes beaucoup à suivre Delépine dans son parcours, que ce soit en tant qu'ex-auteur des Guignols de l'Info (http://www.dailymotion.com/video/x9ad8o_guignols-kulunmouton_fun?from_related=related.page.int.gravity-only.969d4f6e5b9752ce93275ea7b3e9a393141027790), en tant que Michael Kael pour Groland (http://www.youtube.com/watch?v=uplmtKHp83Y) ou en tant que réalisateur, acteur et scénariste depuis Michael Kael contre la World News Company. En 2004, avec Aaltra, il signe avec son compère de toujours, Gustave Kervern, un tournant artistique. Near Death Experience (1) est issu de ce parti, à la fois singulier, sarcastique et profondément sincère sur le monde que nous vivons (c'est-à-dire un monde où l'oeuvre et le sens de la vie manque tant à l'être qu'à la collectivité... Autrement dit, le capitalisme et son cynisme).


Inspiré d'un fait divers, Near Death Experience est à l'origine l'histoire d'un homme qui a quitté sa famille sans rien dire, pendant plus de cinq mois, avant de se donner la mort. Toute la création provient donc de :
1° Qui était cet homme ?
2° Qu'est-ce qu'il s'est passé pendant ces cinq mois ?


A la première question, on répondra par : Michel. Ou Paul. C'est comme tu veux.
Cette année, Michel Houellebecq aura tourné deux films en tant qu'acteur. Le premier avec Guillaume Nicloux où Houellebecq se fait enlever dans "L'enlèvement de Michel Houellebecq". Depuis que je lis Houellebecq, de ce que je sais de cet auteur (c'est-à-dire jusqu'en 2005), la moindre des choses que l'on puisse constater est que Michel Houellebecq est un personnage en lui-même, un personnage qui s'écrit comme il se théâtralise. Quel écrivain, ou même artiste, ne fait-il pas cela ? S'il est vrai que de la raison individuelle et de son expérience se forgent les prémices de la création, chez Houellebecq le jeu de l'être est appuyé par une épure stylistique, pratiquement dépersonnalisé, et le désabusement de la société contemporaine libéral. Houellebecq est un écrivain mort vivant, comme le présente Marc-Edouard Nabe dans le Vingt-Septième Livre (oeuvre dont on ne parlera jamais) et c'est parce qu'il est mort vivant, sans effort et sans artifice que Michel Houellebecq était bien parti pour être un acteur, surtout lorsqu'il s'agit de faire écho à la société actuelle. Sans fard, Michel est un miroir social en lui-même.


Oui, Michel était parfait pour ce rôle.
C'est donc, une nouvelle fois, un soir de beuverie digne, après quelques caisses-outres à robinet parfumé au pastis ou au rosé que l'affaire fut emballée et pesée : http://www.prixing.fr/images/product_images/faa/faab7f860713e5e255ae2d7f6b119c6c.jpg


Michel est si rosé.
Comprend qui peut.
La beuverie est un moment de dignité pour l'être qu'est Michel. Il faut lire ce qu'il écrit sur la réunion des êtres dans "Rester Vivants", paragraphe "Qu'est-ce que je fous avec ces cons ?"


Ce qui est amusant, c'est que, en 2014, Jean-Louis Aubert nous rapportait, à peu près, le même processus de décision et de création. Après un soir de cuite sociabilisante.


C'est, je crois, un détail important pour savoir "qui est le personnage du film". Parce que c'est personne en particulier et parce qu'il est complètement dépossédé de sa propre personnalité que ce personnage est on ne peut plus universel, humble et, finalement et paradoxalement, reconnaissable entre tous. Michel est une allégorie métaphysique, un peu comme l'allégorie de la connerie pour Régis ou de la saloperie pour Sandrine. Oui, Sandrine est une salope et tout le monde le sait. Michel, lui, il est reconnaissable dans la logique, dans l'univers et dans ces manières de paraître, confinées entre la préciosité la plus unique et la banalité la plus morne. Il ets reconnaissable parce qu'il n'est pas, tout en étant. Il n'y a aucune morgue chez Michel. Ou Paul. C'est comme tu veux.


Comment le pourrait-il ? Comment pourrait-il passer pour arrogant quand la raison humaine ne dépasse pas le stade du préjugé ? Comment s'élever ? Et comment supporter cette société sans prendre conscience des velléités existentielles ? La seule velléité de coeur et de raison qu'il est possible d'annuler, c'est celle de s'autodétruire - l'alcool ayant une double fonction de rendre, entre autres, l'autodestruction presque acceptable (car déshinibante, avec un demi lexomil) et légale. Donc, si je pense pour être, Michel achète un cubitainer de rosé. Cela ne vole pas très haut. Michel ou Paul n'a jamais volé très haut, sauf quand - ironie du sort - il décide de prendre la tangente pour s'offrir un bon vol plané du côté de la montagne Sainte-Victoire.


Il n'y a décidément aucune morgue chez Michel. C'est une autre morgue dont il s'agit. Droopy et François Fillon à côté, c'est Disneyland.


A la deuxième question, j'ai déjà réglé le principal. Avoir répondu à la première question, c'est déjà répondre en très grande partie au sens de la majorité des plans. Si nous assistons à une succession de monologues espacés et pausés (et à des répliques phares telles que : "J'ai toujours fini mon assiette" ou "Peut-être, non" ou "Paul, tu parles trop, mais tu ne te suicides pas assez" ou "J'ai consulté des sites pornographiques pendant qu'on te retirait ton fibrome" ou "Vous êtes de quel signe ?" ou encore "On en refait une ?"), il ne me reste plus qu'à m'interroger sur le sens de l'action. Car de l'action, il y en a quand même pas mal dans le film : c'est pédestre.


Dans les premières minutes, on se posera beaucoup de questions si l'on est novice du cinéma de Delépine et Kervern. Leur volonté systématique de foirer leurs premiers plans, de trouver le truc pour trier les cons et les dictateurs de la société du spectacle, de rendre flou (2) et insipide le propos rend, une fois n'est pas coutume, justice au fond et tréfonds du film. En effet, il n'y a rien à raconter... et, en même temps, il y a tout. La création de cette radicalité détumescente tient en haleine pour qui veut comprendre et veut être empathique.


Et comment ne point l'être, devant l'universalité de cette question et les milliards d'interprétations qui nourrissent toutes les cultures et les représentations du monde : comment, putain, en arrive-t-on, putain, à se sentir, putain, moins concerné, putain, par les conditions de sa naissance, putain, que les conditions de sa mort ? Putain.


L'existentialisme, ici, se vivra dans son annulation, dans l'abolition irrémédiable de sept milliards d'éclopés cafardeux d'agents économiques, dans l'errance spontanée et dans cette confession intime, hésitante et rétrospective de Paul. L'insecte humain butine la frontière de la fin de sa trajectoire.
En prenant l'allure d'une virée solitaire et rocailleuse, affublée d'un unique maillot de cycliste (3), le film agit beaucoup par sérendipité et dégage une éruption mélangée de cynisme et romantisme. Hé oui, et c'est toute la réussite de ce film : faire passer un drame sans intérêt pour une ode à la vie. L'idée même de l'expression d'un nihilisme sous un cagnard et au beau milieu d'un paysage magnifique ajoute au ton résolument tragicomique. Me concernant, j'ai interrogé Delépine sur l'influence possiblement gothique dans ce film, en regard du choix musical (Schubert et Black Sabbath), de ce qui m'a rappelé le peintre Friedrich (http://www.cinechronicle.com/wp-content/uploads/2014/08/Michel-Houellebecq-Near-Death-Experience-de-Gustave-Kervern-et-Benoit-Delepine1.jpg), de la référence à Baudelaire d'entrée ou en clôture de film et de cette expérience viscérale de l'être qui, comme chacun sait, est l'un des fondements du romantisme, romantisme poussé à l'extrême, jusqu'à la déshumanisation.


Le réalisateur répond non.
Que c'est autre chose qui l'anime.
Avec beaucoup plus de pudeur que je ne l'escomptais.


Cette expérience de mort imminente, de cette sérotonine à la recherche de la fée endorphine, est à prendre pour ce qu'elle est : une antichambre fragile et hésitante du renoncement de l'être dans un monde qui ne s'écoute plus et qui ne donne pas plus envie d'y participer.


(1) Michel Houellebecq n'a absolument pas co-écrit ou remanié le scénario selon Benoît Delépine. Il a tout juste corrigé le fait qu'il ne pouvait pas s'approcher trop près du vide (genre un mètre cinquante) et qu'il préférait manger des apéricubes au lieu de cacahouètes. Acteur facile à vivre, il a tout juste voulu un café et un hôtel où l'on pouvait fumer (et pour cause, l'hôtel devait être démoli une semaine plus tard - nihilisme quand tu nous tiens !). Refermons à présent cette parenthèse people.


(2) A noter le style flou, parfois à la limite du lisible, qui est dû à une volonté tant formelle que de discours. Il provient d'une vieille Panasonic. Dit ainsi on s'en fout un peu. Mais le fait d'opter pour ce type de caméra, à cassettes, est un signe en soi d'une autre volonté, celle sans doute d'une sobriété face à la technologie, non tellement pour faire machine arrière mais parce que que les caméras DV ne permettent pas ce grain. Delépine en avait une avant mais impossible de remettre la main dessus. Il a donc cherché longtemps cette caméra pratique qui était la seule, à ses yeux, lisible et susceptible d'être projetée sur un grand écran. Il était impossible de la trouver à acheter sur le net. Il aura poussé ce fétichisme jusqu'à remettre en cause le film... Jusqu'au jour où il découvrit, par hasard, chez lui, dans une armoire, la fameuse Panasonic. Le Graal quand on ne l'attend plus.


(3) La petite histoire du maillot "Bic" n'est pas tant en lien avec le fait que Houellebecq soit un écrivain. Non. Il provient du fait qu'il fallait un maillot voyant dans le décor montagneux, pour les plans d'ensemble notamment. Il provient aussi du fait que toutes les services commerciaux ont refusé de voir leur marque affiliée à un film à caractère dramatique. C'est un peu bête puisqu'on ressort du visionnage globalement satisfait, heureux et pas du tout plombé par la trajectoire du protagoniste principal. Toujours est-il que ce maillot "Bic" a pu exister tout simplement parce que Houellebecq avait eu vent que la Baronne Bic adorait ses livres. Ce dernier a alors pris sa plus belle plume pour obtenir d'elle une faveur. Le service commercial a réagi en donner trois maillots... et pas un centime. C'est quand même assez exceptionnel qu'une marque puisse bénéficier de près d'une heure et demie de publicité sans avoir versé un seul centime. Le film a donc été financé par les auteurs eux-mêmes.

Andy-Capet
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le 9 sept. 2014

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le 10 sept. 2014

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