Le cinéma, c'est un lieu commun, photographie l'humeur de l'époque. Si le film catastrophe connut de beaux jours à la fin des années 90, et jusqu'en 2012, c'est que nos fantasmes, autant que la réalité du monde, ne nous poussaient pas à l'optimisme. De fait, avec l'application globale de l'idéologie néolibérale et les répercussions orwelliennes - parfois totalitaires - des attentats du 11 septembre 2001, l'ancien monde a disparu, l'hyper-individualisme et la paranoïa nous guidant vers un futur terrifiant. En toute logique, en 2014, le cinéma semble traversé par l'idée de la survie. Des Chiens Errants au second opus du reboot de La Planète des Singes, en passant, plus près de nous, par Les Combattants, cette angoisse, en plus de nous ronger, fait aujourd'hui partie du paysage cinématographique.

Le dernier film de Delépine et Kervern s'inscrit dans cette voie. En utilisant la figure de Michel Houellebecq, les auteurs greffent leur réflexion sur le regard porté par l'écrivain sur ce qu'il reste de l'humain aux temps du capitalisme sauvage - autant dire plus grand-chose. Mais, loin de coller à la philosophie de l'écrivain, ils tentent de creuser un autre chemin. L'idée de Near Death Experience consiste à observer ce qu'il advient de l'homme une fois que, plus ou moins détruit par « le système », il se retrouve face à lui-même, en milieu sauvage. Plus de technologie, plus de travail, plus de sexe, plus de lien social - plus rien à vrai dire, si ce n'est Houellebecq. C'est donc l'histoire d'un individu qui ne sent plus « homme », et qui décide d'en finir, mais qui, en chemin, prend conscience de son animalité et redécouvre l'envie de vivre, c'est-à-dire de renouer le dialogue avec les êtres qu'il aime. Davantage que la conséquence du bien-être que lui inspire la nature, le mouvement est le fait d'un instinct animal retrouvé, réflexe primal tu au contact des autres hommes.

Jamais, sans doute, les camarades grolandais n'étaient allés aussi loin dans la noirceur. Il y a dans le geste une évidente tentative de suicide commercial, à l'instar de ce qu'a récemment accompli le cinéma de Tsai Ming-liang : existe-t-il encore des spectateurs pour de tels films ? Pourtant, loin de se cantonner à un pur exercice de style (comme pouvait l'être Avida), Near Death Experience est au contraire une nouvelle preuve du talent de leurs auteurs, dont s'affirme ici la cohérence thématique. Ils ne perdent plus de temps à s'affirmer cinéastes : ils le sont. Leur science du plan est évidente, comme l'est leur projet d'éliminer du cadre les autres corps, pour ne garder que celui de Houellebecq. Mammuth est passé par là, adoubé par le gros Gégé ; ils se sont ensuite accordés un Grand soir en guise de parenthèse légère, mais c'est bien vers un cinéma moins revendicatif qu'ils tendent à présent. Un cinéma fragile, qu'ils nourrissent de leurs névroses, de leur espoirs et surtout de leurs peurs. On peut se demander par quoi est passé, par exemple, Gustave Kervern en cumulant son travail d'acteur dans le film de Pierre Salvadori, Dans la Cour (où il interprétait un dépressif héroïnomane) et celui de co-réalisateur sur Near Death Experience. A l'évidence, il y a un peu de lui dans le personnage de Houellebecq. NDE est en définitive humain, profondément humain, et c'est ce en quoi l'on peut juger la qualité de l'oeuvre et de ses créateurs.

Il en va de même de la façon d'utiliser le corps de Michel Houellebecq comme d'un nouvel avatar de leurs obsessions des corps abîmés. Habitués aux électrons libres que sont Albert Dupontel, Benoît Poelvoorde ou Gérard Depardieu, les compères ajoutent à leur bestiaire l'unique Michel Houellebecq. Le cinéma de Gustave Kevern et Benoit Delepine est un cinéma de gueules, dans lequel Houellebecq et son allure de vieille grand-mère ne déparent pas. Comme le dit Fab Randanne, « sa silhouette, sa tronche, sont des histoires à elles seules ». Mais s'il s'agit d'une nouvelle façon d'exister pour l'auteur des Particules Elémentaires, le trouble identitaire généré n'est pas tout à fait le même que celui éprouvé devant L'Enlèvement de Michel Houellebecq, diffusé il y a peu sur Arte. Les cinéastes n’empêchent pas l'écrivain de s'exprimer, mais l'évident pastiche houellebecquien que proposent les dialogues n'est qu'une fausse piste. L'intention des cinéastes est ailleurs : pétrir le corps reptilien de l'acteur pour l'adapter à leur œuvre. L'idée n'est alors pas tant « Michel Houellebecq » que le corps de celui-ci.

Film exigeant et désespéré, Near Death Experience ne manque pourtant pas d'ambition. Non pas celle, plus ou moins cynique, des productions de Thomas Langmann qui trustent le box-office, mais celle des Don Quichotte qui espèrent, sans trop y croire, que leur œuvre touchera au moins un spectateur. Un combat dont, on l'espère, ils sortiront vainqueurs au-delà de leurs espérances.
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le 9 sept. 2014

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