Le nouveau film du productif Pablo Larrain – qui proposera dans quelques semaines un biopic de Jackie Kennedy – renverse pour le coup les codes du genre qu'il abordera alors. En effet, en dépit de son titre, on ne peut pas réellement parler ici de biopic à propos de cette vision fragmentaire et largement imaginaire d'un épisode de la vie du poète chilien Pablo Neruda.


Alors qu'en 1948 la Guerre Froide s'étend, le poète qui est aussi sénateur ne cache plus ses critiques à l'égard du gouvernement en place à la botte des États-Unis, suscitant l'ire du président Videla qui décide de sa destitution et de procéder à son arrestation. Loin de toute hagiographie, le film malmène la figure de l'homme de lettres présenté comme égocentrique, grand bourgeois qui se pique de communisme et qui vit en compagnie de sa seconde épouse argentine très influente sur un grand pied.


Cette première entorse aux règles habituelles de la louange, sinon de l'embellissement hypocrite, précède l'entrée en scène d'une dimension fictionnelle (le personnage du policier Óscar Peluchonneau qui va traquer le poète) qui fait ainsi basculer le film dans un brillant exercice de style qui, au-delà de l'Histoire, interroge la création littéraire dans une vertigineuse mise en scène qui multiplie les strates de prises de vues, les mouvements virtuoses de caméra. Très écrit et littéraire – ce que souligne et renforce la voix off du policier – le film apparaît aussi comme le versant cinématographique des œuvres de Jorge Luis Borges ou mieux encore du compatriote du cinéaste, Roberto Bolaño. C'est effectivement aussi érudit et ludique, l'ensemble fourmille d'idées et de personnages, les grilles de lecture comme les genres y sont multiples. Romanesque, dramatique et picaresque, le film devient une sorte de western métaphysique dans les sublimes paysages enneigés de la Cordillère des Andes.


Le plaisir est donc aussi bien pour les yeux – la scène inaugurale suffit à comprendre qu'on est devant un grand film – que pour les oreilles flattées par la beauté d'une langue. Jouant constamment de la dualité (rendre hommage et pourfendre, être sublime et trivial, jouer de la vérité et de l'artifice, brouiller les pistes entre réalité et fiction, personnages principaux et secondaires – le mot ayant ici toute son importance -, proposer une relecture à la fois simple et de plus en plus complexe et onirique), Neruda est un concentré de vitamines neuronales qui se nourrit de démythification et de déconstruction de la légende. À administrer sans modération.

PatrickBraganti
8
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le 4 janv. 2017

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