"This tube is the most awesome God-damned force in the whole godless world"

Network est un film fort, une satire féroce de l'univers impitoyable qu'est la télévision. On y suit un homme, Howard Beale, ancienne gloire des news qui va littéralement péter un boulon, après avoir appris son renvoi suite à une chute d'audience. Il annonce alors son suicide en direct, ce qui va booster les chiffres et convaincre les dirigeants de la chaîne de le conserver.


Ca faisait un bon bout de temps que je n'avais pas pu apprécier un scénario de ce niveau. Une multitude de personnages, qui se complètent, et s’emboîtent parfaitement dans les rouages de l'histoire. Ajoutez à cela une histoire parallèle, dont je ne comprenais pas très bien l'intérêt au départ, une amourette entre deux personnages très différents, qui viendra servir le propos du film au final, et le bilan est parfait.


Lumet ne s'interdit rien. On lui sert cette histoire et il met tout en oeuvre pour attaquer, critiquer le pouvoir de la télévision sur l'opinion publique. Car ce personnage d'Howard Beale n'est pas qu'un prophète dans le film. La chaîne se sert de lui, souffrant de déficience mentale prononcée après son renvoi, voyant que ses discours empreints de révolte contre une vie morose, pourrait leur rapportés des millions. Ou comment l'humain se retrouve comparé et désigné par des chiffres. L'humain n'a aucune place dans le film, et d'ailleurs le personnage de Diana Christensen (impressionante Faye Dunaway) le montre parfaitement. Cette femme est une métaphore du propos du film. Elle ne voit sa vie que comme une succession de scénarios de séries TV. Le côté obscur d'Abed (Community, pour ceux qui connaissent) si vous préférez. Elle ne ressent aucune émotion, avouant même ne pas savoir comment aimer. Terrifiant.


Au fur et à mesure que le film avance, l'humain perd le dessus sur les chiffres et l'argent. Et quand il ne rapporte plus, il est supprimé, définitivement. Une fin terrible pour Beale, mais en réfléchissant un peu, je me suis dis, quelle autre issue pour lui ? A partir du moment où il a sombré dans la folie, il n'était plus maître de sa vie, utilisé dans un premier temps pour remonter les audiences et ensuite, par le grand patron (excellent Ned Beatty) pour diffuser un message pessimiste envers la démocratie. Tous ceci grâce au moyen de propagande le plus efficace qui puisse exister. Beale était donc destiné à s'éteindre petit à petit, son meilleur ami (William Holden) l'ayant abandonné, et étant le seul à avoir un minimum de raison, dans cet univers de fou.


Lumet avait besoin d'acteurs de grands talents pour interpréter cette bande de dégénérés et, à la place, il a eu des génies. Des regrettés William Holden et Peter Finch, à la belle Faye Dunaway, en passant par Robert Duvall ou Ned Beatty, tous en imposent et portent le film encore plus haut. Mention spéciale à Peter Finch qui m'a absolument impressionné et ébloui dans son rôle de fou furieux.


Je l'avais déjà remarqué dans Douze Hommes en Colère et Un Après-Midi de Chien (les deux seuls que j'avais vu du réalisateur) mais Lumet maîtrise ses films de la première à la dernière minute. Il y apporte toujours quelque chose et semble apprécier les espace clos. Le huis clos de 12 Hommes en colère, la banque du braquage d'Un Après Midi de Chien et maintenant les bureaux de ces personnages de l'ombre. On est étouffe dans ces étroites pièces et on ne voit quasiment pas l'extérieur.
Mais j'ai surtout retenu deux séquences qui m'ont marqué : le discours "I'm as mad as hell !" de Peter Finch suivi de la scène suivante illuminée par la lumière des éclairs. Ces contres plongées sur Finch le montre imposant, le prophète délivrant son discours se devant d'être très puissant. Lumet le magnifie à l'écran et ce qui suit est un grand moment de cinéma. Max Schumacher voyant cela devant son écran se penche alors à sa fenêtre et contemple sous la lumière des éclairs, des dizaines de personnes reprenant les paroles du messie. La TV toute puissante prend une dimension divine, et annexe ses moutons sous l'orage.
L'autre séquence que j'ai retenu est celle qui contient mon titre de critique. Beale a désormais son émission à lui et lâche un discours enragé contre le pouvoir de la télé concluant sur un appel à l'aide, en demandant d'éteindre ce "tube". Il s'évanouit et la salle se met à applaudir. La séquence est d'une puissance énorme de part la photographie, isolant Beale de la noirceur, mais surtout par la performance de Peter Finch, impressionnant. Je trouve la fin paradoxale, de par la demande de tout éteindre de Beale, et l'ovation qu'il reçoit après son évanouissement. On y voit alors le vrai pouvoir que peut avoir la télé sur l'opinion publique.


Un film rare, cynique et comme on en voit très peu aujourd'hui. Une satire terrible, parfois exagérée mais tellement réaliste la plupart du temps, sur l'univers impitoyable qu'est la télévision.

Strangelove
9
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le 23 août 2013

Modifiée

le 23 août 2013

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