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Ah, Miyazaki Hayao ! Le grand maître qui, de son bureau où s’empilent les croquis, règne sur le royaume Ghibli. Un royaume fait de rêves et de folie à en croire le titre du très bon documentaire que Sunada Mami avait consacré en 2013 aux coulisses du célèbre studio : The Kingdom of Dreams and Madness. Impossible de ne pas adresser la comparaison entre les deux films, proches dans leurs sujets mais pourtant éloignés dans leurs approches. En effet, là où Sunada Mami s’intéressait au fonctionnement global de l’entreprise, au sein de laquelle Miyazaki et son regretté compère Takahata Isao occupaient une place certes prépondérante mais quelque peu distante, semblables à des déités qu’on oserait à peine troubler, Arakawa Kaku embrasse ici une trajectoire intime, et s’invite dans la demeure même du dessinateur. En abolissant ainsi, du moins partiellement, la frontière impalpable qu’a dressée l’impressionnante réputation de ce dernier, il permet de laisser transparaître le visage humain sous l’épaisse couche de légende qui l’entoure.


Ce rapprochement, néanmoins, a un prix, puisque Miyazaki n’a pas souhaité être passé au crible d’un regard clinique de documentariste, mais a imposé à Arakawa Kaku d’instaurer avec lui un dialogue en rendant le dispositif technique nécessaire à l’enregistrement le moins envahissant possible. La forme s’en ressent, puisque dans le feu de la réaction l’image vacille faute de trépied, les voix manquent quelquefois de clarté en l’absence de perche pour mieux les capter, et l’on sent que la caméra, parfois juste posée dans le coin d’une pièce, fut durant le tournage une présence à peine tolérée. Pourtant, bien que le rendu déroute dans un premier temps, on constate progressivement que ce retrait du matériel a rendu possible une plus grande simplicité et spontanéité dans la relation entre filmé et filmant, donnant au résultat une authenticité dont on ne peut douter.


Neuve, ainsi, est la démarche qui guide Never-Ending Man ; neuve, aussi, la lumière sous laquelle on découvre son sujet, puisque Miyazaki nous apparaît ici dans un quotidien à la mise en scène minimale. Alors, sans rien perdre de son aura, il livre devant la caméra ses doutes et ses espoirs, laisse échapper ses enthousiasmes et ses colères. On comprend l’insoluble contradiction de celui qui, tant de fois, a résolu de tirer sa révérence professionnelle sans parvenir à s’y tenir : un irrépressible élan créateur, que tente de modérer un sens aigu de la responsabilité. Le dessinateur, se voyant vieillir, sent la tâche devenir difficile et son corps douloureux, et craint de lancer un projet qu’il ne sera pas en mesure d’achever. Pourtant, se rajoute encore la hantise de n’avoir pas trouvé de successeur et de voir se raréfier la maîtrise des techniques d’animation traditionnelles qui lui sont si chères.


En ce sens, Never-Ending Man est aussi le témoignage d’un tournant dans l’industrie, marqué par l’arrivée des images de synthèse. Pour la première fois, Miyazaki a choisi, pour Boro la Chenille, d’en faire usage, et sa réaction illustre l’ambivalence de cette évolution. S’il se laisse en effet d’abord charmer par les nouvelles possibilités offertes à lui par cette technologie, qui lui paraît être un soutien utile pour une main qui fatigue plus vite qu’auparavant, le documentaire verra ce ravissement initial se nuancer puis s’assombrir au fur et à mesure de sa collaboration avec les équipes spécialisées. En arrière-plan de ce processus se révèle surtout le rapport profondément émotionnel de Miyazaki à son art, parfois naïf, toujours passionné, ce qui le fait émerger comme encore plus impressionnant en tant que démiurge, mais surtout touchant en tant qu’homme.


Never-Ending Man, c’est un titre qui sonne comme un nom de super-héros. C’est un peu, en effet, ce que semble devenir Miyazaki, pris au piège de la malédiction d’une imagination débordante qui lui confère un immense pouvoir créateur mais qui ne lui accorde aucun repos. S’il ne nous est donné, d’habitude, de ne le voir que sous son costume, derrière les traits des personnages dont il nous enchante depuis plus de trente ans, ce documentaire nous permet de le rencontrer à visage découvert, dans toute ses incertitudes et son humanité. Des images précieuses, illuminées de tendresse.


[Rédigé pour EastAsia.fr]

Shania_Wolf
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le 2 janv. 2019

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Lila Gaius

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