Eliza Hittman est une femme qui prend le temps de regarder ses sujets dans les yeux, jusque dans les sentiments profonds d’une adolescence qui cultive un certain mal-être. Elle l’a déjà fait avec « It Felt like love » et « Beach Rats », en présentant des jeunes qui se renferment dans le fantasme ou qui abandonnent leur libre-arbitre. Ici, elle soulève un point de vue exclusivement féminin, en l’accompagnant de conséquences amorales et pourtant bien réelles. La cruauté se conjugue au masculin, aucune pitié pour ces derniers, qu’ils soient identifiés dans une tranche d’âge ou d’une certaine classe sociale, ils iront tous dans le même panier afin de mieux servir ce road-trip intimiste et poignant.


L’Amérique a la masculinité toxique, bien que l’on ne puisse pas la généraliser ou encore l’extrapoler à d’autres territoires. Mais il n’y aura nul besoin de développer davantage ce filon, dès lors que la justesse prend forme autour du corps de la femme. Un premier arrêt sur le patriarcat, qui martèle sans cesse la gent féminine, leurs valeurs et leur corps. Plus rien ne leur appartient, pas même l’embryon à l’arrivée impromptue et dont Autumn hérite avec stupéfaction. Pour l’incarner et pour partager le fardeau de la protagoniste, la chanteuse Sidney Flanigan et sa non-binarité correspondent au profil souhaité, celle d’une femme qui ne peut gagner tous ses duels du regard ou sur la scène de New York, aussi impitoyable qu’imprévisible. Pour un premier rôle, il y a de la place pour de l’émotion crue, celle qui ne prend pas de détour et qui va droit au but. Et c’est en compagnie de la loyale cousine Skylar (Talia Ryder) qu’on renforce le lien féminin et sa position dans un monde d’hommes et d’adultes.


Toutes deux s’investissent dans une croisade à sens unique, convoitant l’IVG (interruption volontaire de grossesse) comme le Graal symbolisant l’ultime pouvoir qui leur reste. Pour Autumn, le conflit intérieur prend le dessus sur son environnement et les dialogues sont limités à des professionnels médicaux. Elle se définit ainsi à travers une gestuelle plus bavarde que jamais et qui hurle au désespoir, à la trahison et de douleur. Ce silence est partagé avec sa partenaire de voyage, qui sème le charme malgré elle et qui révèle les complexités du parcours, portrait d’une nation qui restreint les droits d’une femme. Mais la place des hommes n’est sans doute pas assez nuancée pour rendre toute la légitimité et la noblesse à la quête. Malgré tout, les maladresses s’effacent derrière la mise en scène et une narration d’une justesse émouvante, jusque dans les derniers instants, mettant en relief la signification du titre et l’extrême violence qui en découle. Par ailleurs, on se permet de ne pas l’illustrer, on préférera la suggérer, sage décision.


Ainsi, le film ne fait pas dans la fantasmagorie, il nous harponne à la réalité sans concessions, sans ressources supplémentaires. Il n’y a que deux filles qui avancent avec une incertitude permanente et une liberté qu’on leur ampute quasiment d’office. « Never Rarely Sometimes Always » répond déjà aux enjeux d’une société instable et qui ne justifie plus ses écarts de conduite ou les responsabilités de chacun. Ici, l’efficacité du récit souligne avec authenticité des problématiques d’actualités et qui rongent encore le cœur de victimes qui ne peuvent plus fuir ou confronter la hiérarchie. Elles se contentent de survivre en sauvegardant le peu d’esprit et de corps qu’on ne leur a pas déjà piétiné ou volé.

Cinememories
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le 4 sept. 2020

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