Daniel contre Darkman
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Quand la plus grande star cinématographique allemande actuelle entreprend de jouer avec sa propre image, on ne saurait manquer cela ! Lancé en orbite internationale par le succès de Wolfgang Becker, « Good Bye, Lenin ! » (2003), Daniel Brühl est l’acteur de nationalité allemande - hispano-germanique, pour être plus précis - qui a sans doute le plus tourné, ces dernières années, dans de grandes productions états-uniennes destinées à inonder la planète entière. Le voir passer derrière la caméra, pour la première fois de sa carrière, et se mettre en scène lui-même, dans son propre personnage, éveille à tout le moins la curiosité. On sait par le synopsis que la star sera mise en difficulté… Simple pirouette visant à donner lieu à une célébration narcissique au ènième degré ? On s’engage dans ce film non sans une certaine méfiance…
Celle-ci ne tardera pas à fondre, pour virer en flaque vite évaporée, suivant un processus qui s’enclenche dès les premières images, dès le bol de céréales bien rangées et organisées en lignes esthétiques que la grande star se destine à absorber pour son petit-déjeuner. L’humour, l’auto-dérision sont donc bien présents, et vont connaître une gradation qui semble s’être donné pour seule règle de renverser une à une toutes les limites.
Cette gradation passera par le truchement de la confrontation avec un autre personnage, un voisin rencontré par hasard au bar et interprété avec flegme et brio par l’impressionnant Peter Kurth. Décentrement magnifique, puisque le scénario va faire la part belle, voire royale, à ce partenaire initialement sorti de nulle part. En un jeu de déconstruction progressant par paliers de la sphère professionnelle à la sphère privée, ce voisin très regardant va déboulonner écrou par écrou la figure de la star et l’organisation toujours plus glorieuse d’une vie qui semblait si parfaitement huilée, conçue pour courir de succès en succès. Le duo des deux acteurs, au sein d’un espace-temps très resserré qui respecte à outrance la règle théâtrale des trois unités, rebondit d’échanges jubilatoires en échanges jubilatoires au fil desquels on assiste à la féroce liquéfaction du golden boy. Quelques personnages secondaires frôlent l’explosif duo, apportant un contrepoint ou une glose toujours réjouissants.
Pour désopilante que soit cette joute, une certaine gravité n’est pas déniée et l’on sait même gré à l’acteur-réalisateur d’oser lever le voile sur des questions aussi peu envisagées que la détresse sexuelle d’une star ou l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de se fier réellement à qui que ce soit…
Et l’on ne peut qu’admirer, au bout du compte, ce qui transparaît finalement comme un discret mais authentique exercice de vérité, élégamment glissé dans un étui de fiction menée tambour battant et sur le ton de la plaisanterie.
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le 6 oct. 2021
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