Ni chaînes ni maîtres par Freddy Klein

Ni chaînes, ni maîtres de Simon Moutaïrou relate l'histoire de Massamba et de sa fille Mati, esclaves au mitan du XVIII ème siècle dans une plantation de canne à sucre sur l'Isle de France, aujourd'hui l'Ile Maurice. Le propriétaire de la plantation, Eugène Larcenet (Benoît Magimel), règne en maître absolu sur le destin d'hommes et de femmes qui, en vertu du Code Noir déclaré applicable à Maurice, sont assimilés à des biens meubles au même titre qu'une chaise, une charrette ou un animal de trait.

Les esclaves de plantation, c'est à dire ceux affectés à la culture, la récolte et les transformations de la canne à sucre, connaissent les conditions d'existence les plus éprouvantes, tant par la dureté de leur labeur que la cruauté des punitions infligées s'ils tentent de se soustraire à leur condition en fuyant : marquage au fer rouge à la première tentative, amputation d'une oreille, mutilation du jarret à la seconde et exécution à la troisième.

Honoré Larcenet, fils d'Eugène, ne partage pas la vision du monde de son père. Son père a fait de Massamba une sorte de contremaître, intermédiaire aidant à la domination de ceux qui selon l'idéologie toujours dominante de ce XVIII ème siècle seraient dépourvus d'âme. Contrairement à son père, Honoré Larcenet est fils du siècle des Lumières et pour lui, blancs et noirs de peau appartiennent à la même humanité. Il apprendra à lire, à écrire et à ne pas baisser les yeux à Massamba qui, à son tour, convaincra sa fille Mati qu'apprendre la couture fera d'elle une esclave de maison et lui permettra d'échapper au viol et peut-être même fera d'elle une affranchie un jour.

Pour ne pas avoir baissé les yeux devant le gouverneur de l'île, représentant le roi, Massamba sera fouetté jusqu'au sang, devra porter le masque de la honte et sera dépouillé des quelques privilèges liés à sa fonction dans la plantation. Cette destitution frappera également sa fille Mati que le maître des lieux fait amener de force pour la violer.

Mati réussit à prendre la fuite et son père s'évade à son tour pour la protéger. Que deux esclaves se soustraient à la volonté de leur maître est une chose d'autant plus insoutenable que cela pourrait devenir contagieux. Eugène Larcenet convoque aussitôt Madame la Victoire (Camille Cottin) avec ses deux fils et son molosse. La chasseuse d'esclaves, qui met ses talents au service de l'ordre colonial, se lance à la poursuite des deux « marrons ».

Le terme cimarron, en espagnol parlé par les amérindiens d'Haïti, désignait un animal domestique retourné à l'état sauvage. Il devait par la suite désigner un esclave noir qui a fui et a choisi la liberté. Généralement, les fuyards se réfugiaient dans les parties les plus inaccessibles et même inhospitalières du territoire où leur déportation et leur mise en servage les avaient conduits.

Les esclaves marrons de l'Isle Bourbon, aujourd'hui la Réunion, se réfugiaient dans les montagnes difficilement accessibles du centre de l'île. Ils vivaient tantôt de razzias pour se procurer ce dont ils manquaient, tantôt en établissant des villages qui vivaient en autarcie complète. Les marrons de l'île Maurice se dirigeaient vers la zone côtière faisant face à Madagascar distante de quelques 1 200 km. Moins accidenté que celui de la Réunion, le relief de l'île Maurice n'offrait guère de refuge et la liberté ne s'offrait alors qu'en prenant la mer sur de frêles esquifs.

Encerclés par les soldats du roi que le gouverneur de l'île a dépêchés, Massamba, sa fille et leurs compagnons d'infortune choisiront la seule Liberté qui leur reste.

Ni chaînes, ni maîtres ne pèche ni par mièvrerie, ni par outrance. Il montre du doigt des postures certes caractéristiques d'une époque, mais qui ne nous ferons pas oublier qu'une époque n'est jamais totalement ou définitivement révolue et que toute notre vigilance doit rester de mise sur ses résurgences parfois les plus inattendues, ce qu'une simple dénonciation d'un passé lointain pourrait dangereusement occulter.