Enfin, du nouveau, enfin un peu d’audace, se dit-on sur le générique de fin, avec d’autant plus de réjouissance qu’on est en train de le dire au sujet d’un film français. Elles ne sont pas très nombreuses, les tentatives de sortie des sentiers battus, et ce premier film de Clément Cogitore, culotté et assez passionnant, en propose un certain nombre.
L’armée française postée en Afghanistan, garantissant la sécurité d’un village face aux Talibans, doit faire face à des disparitions inexpliquées de soldats. Elles ont toujours lieu la nuit, à la faveur du sommeil.
Avant même que ne surgisse un possible surnaturel, le cinéaste aura travaillé le déracinement et la situation hors norme des soldats : une terre aride, des coutumes incompréhensibles, et quelques indices distant d’une vraie vie laissée au pays. Sans cesse rivés à l’interprète, les soldats tentent de comprendre : un univers dans lequel on les a héliportés, et, progressivement, les superstitions et rites dans lesquels ils auraient mis les pieds, comme par erreur.
Les personnages sont des soldats : ils gèrent, ou du moins le prétendent, déjà légèrement minés par ce climat attentiste, et gagnés par une angoisse grandissante qui leur dicte de renoncer au rationalisme en vigueur.
C’est là tout le point d’équilibre du film : instaurer un climat instable tout en ménageant des possibilités d’hallucination. Cette définition du fantastique va principalement se jouer à la faveur de la nuit. Silence, redéfinition des volumes ou des silhouettes, toute l’imagerie modifiée est longuement explorée par le cinéaste qui multiplie les séquences en vision nocturne, à travers le matériel high tech des militaires. On repense à la séquence similaire de Sicario, avec cette différence de taille : elle n’a ici rien d’un petit gadget éphémère, mais constitue bien le cœur du film.
Dans cette atmosphère anxiogène, où il est question de l’incompréhensible foi des autochtones, le langage perd progressivement sa suprématie : les corps prennent le relai, creusant la roche, s’affrontant, ou au le temps d’une très belle séquence de danse sur un techno fébrile. Cette maladie possible du sommeil fait aussi écho à la trame de Cemetery of Splendour de Weerasethakul (avec lequel il ne partage pas pour autant les vertus soporifiques, note aux détracteurs) : un entre-deux hypnotique, un lien possible avec une réalité parallèle, comme le dit la dernière phrase du film : « Un monde à l’intérieur du monde, à côté du monde, tout autour du monde ».
Dense, déconcertant, audacieux, donc : Ni le ciel ni la terre est un film non seulement fascinant, mais aussi le très probable acte de naissance d’un cinéaste avec lequel il va falloir compter.