Critique pour Le Bleu du Miroir


De Nico à Christa
Le biopic est indéniablement un exercice périlleux pour lequel l’écueil d’une narration de A à Z, prompte à plomber le récit et éluder les fragments de vie essentiels du personnage raconté, n’est que trop souvent le résultat. Mais il arrive que le genre soit maitrisé grâce à un angle pertinent, à l’image en 2015 du Steve Jobs de Danny Boyle se focalisant sur les avènements clés qui ont rythmé le parcours du fondateur d’Apple, avec pour fil d’Ariane sa relation avec sa fille. Et c’est avec la même intelligence que la réalisatrice Susanna Micchiavelli a porté à l’écran les dernières années de Christa Päffgen, plus connue sous le nom de Nico, surnom cristallisant le début de sa carrière aux côtés du Velvet Underground. Et c’est ce que retiendra, hélas, uniquement l’histoire alors que la carrière solo de l’artiste fut bien plus longue, et dense, après son expérience au sein de la Factory.


En axant son film sur les dernières années de la chanteuse alors en tournée, la réalisatrice semble réhabiliter l’histoire d’une femme qui a créé toute sa vie, mais dans l’ombre oppressante du pape du pop art. Car si elle se fait connaître en 1967 avec le groupe d’Andy Warhol en collaborant sur le premier album à juste titre intitulé The Velvet Underground & Nico, la chanteuse et mannequin allemande lance sa carrière solo la même année. En 18 ans, elle compose six albums, dont le dernier aux accents testamentaires Camera Obscura en 1985, réalisé trois ans avant sa mort. Et c’est là que la réalisatrice plonge son regard, avec une ouverture presque manifeste. Alors que la chanteuse participe à une émission de radio, le présentateur l’appelle Nico provoquant l’énervement de cette dernière qui insiste sur son prénom : Christa.


Son statut de muse warholienne et ses années de star sont mis aux bancs de la mythologie, et dévoilent la genèse des blessures artistiques qui vont ponctuer sa musique. Mais ce tourment créatif n’est pas uniquement dû à l’évaporation des paillettes d’alors, la toxicomanie de la chanteuse et son absence de rôle de mère des années durant affectent profondément son être. Ainsi le glam laisse place à la drogue, et le temps défilant, les remords maternels apparaissent. L’espoir d’une désintox par la musique et d’une rédemption relationnelle, voilà ce que Susanna Päffgen raconte, voilà ce que l’actrice danoise Trine Dyrholm incarne avec authenticité, et dénuement.


La femme, l’artiste
Car, si l’histoire et le traitement sont intéressants, la force du film tient beaucoup à son actrice principale. À travers un jeu emprunt de naturalisme, Trine Dyrholm conte une vérité crue, sans tomber dans le pathos malgré la toxicomanie de son personnage, addiction qui l’emportera probablement en 1988 à seulement 48 ans alors qu’elle s’était retirée à Ibiza pour se reposer. Rejetant le rang d’icône, l’actrice condense en un regard toute la fragilité et la force de cette femme mue par des démons toute sa vie. Et malgré le poids des années marquées par les abus et la drogue, évaporant la beauté évanescente de l’époque mannequin, Trine Dyrholm injecte une lumière délicate et écorchée au masque de Christa, dont l’émanation demeure la mélodie, à chaque recoin de son existence.


Une énergie vitale à créer projetée sur l’écran avec fracas par l’actrice, tels des éclats épars de cette vie torturée. Un souffle musical, une nécessité à communier par la chanson qui en vient à faire vibrer l’image à travers la performance de l’actrice dont la voix sur scène est saisissante, dont l’incarnation éthérée une fois les lumières éteintes révèle toute la mélancolique de cette vie, mettant au placard la légende attendue de la rock star. Une ultime tentative de résurrection musicale, autant qu’une quête de pardon envers son fils retrouvé.


Dans Nico 1988, Trine Dyrholm désincarne un mythe pour lui rendre son statut de femme, Susanna Micchiavelli met en lumière l’individualité de Christa Päffgen, qui a vécu pour les bruits du quotidien au-delà de son image de symbole.

CCorubolo
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le 20 déc. 2017

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