Vendu comme un nouveau Drive, Nightcrawler devenu en France Night Call met en scène un jeune sociopathe découvrant au hasard de ses promenades nocturnes la branche ‘faits divers sordide’ du journalisme. Il se met en chasse de scènes insolites et surtout de crimes et se rapproche d’une chaîne de télévision locale à Los Angeles. Le film est assez beau d’un point de vue plastique, rappelle effectivement Drive voir Only God Forgives de Winding Refn. La performance de Jake Gyllenhaal est remarquable et les rôles d’individus malsains ou socialement déviants sont décidément son domaine de prédilection.


Malsain en l’occurrence mais pas entièrement déviant socialement. Lou connaît une association rapide dans son milieu professionnel et il est parfaitement adéquat pour faire partie des gagnants dans les combats sociaux, grâce à ses qualités intrinsèques et notamment celles propres à sa sociopathie. Il n’est pas moral ni aimable pour l’ensemble des individus composant la société, mais il est pourtant conforme aux vœux de cette société. C’est l’idée de Night Call, dont la critique n’apporte pas de regard ou de profondeur supplémentaire. Le film pêche non par ambiguïté mais par la mollesse du propos : pour son premier long, Dan Gilroy ne s’investit pas.


Il vient plutôt conclure, après tant d’autres ayant écumés les mêmes terres. Malheureusement il faut presque forcer l’interprétation tant le film peine à instrumentaliser son sujet, d’un point de vue idéologique en tout cas. Nightcrawler réussit cependant à dresser, même si c’est grossier, ce qu’est une morale dans la perspective de Lou. Une morale de l’efficacité et de l’opportunisme, une morale de prédateur dans un monde désarmé face à ceux qui choisissent de rompre avec la conscience. Il est comme le DiCaprio du Loup Wall Street, rendu à un niveau beaucoup plus profond dans la dissociation avec l’Humanité.


Il est le vainqueur dans un monde non en ruine, mais desséché, dont la morale elle est en friche. Il est celui qui accédera aux ressources et aux pouvoirs, quand les autres seront toujours plombés et arrêtés par leur sens moral. Il se hisse grâce aux crimes et aux exactions, en abreuvent les individus via les photos et reportages qu’il rapporte ; c’est normal pour lui, ce sera normal pour ses collaborateurs et ce sera normal pour la société. Et il saura allez plus loin quand ce sera nécessaire. Il n’y a pas de culpabilisation du personnage ni de condamnation appuyée, ce qui aurait été d’autant plus vulgaire et idiot de la part d’un film assez inerte dans son point de vue.


On verra la bonne flic s’opposer à Lou et échouer, quelques personnes sur sa route choquées mais personne ne saura l’arrêter. Ils y voient pour la plupart un fou. La nature sociopathe de Lou crée une distance avec les gens et donc le sujet, mais en même temps, voir ce personnage comme incarnation d’un monde proche permet de frapper fort. Sa réussite est aussi l’indice du caractère profondément menaçant de tout un système, en l’occurrence, les médias. C’est un point de vue assez désuet à l’heure où les menaces propres aux médias vont bien au-delà des ravages de la course à l’audimat : ce genre de considérations est toujours valable et le restera, mais s’y focaliser est d’une grande naïveté.


En outre, on ne voit jamais l’autre côté, celui des hommes et femmes ordinaires, celui des spectateurs de ces reportages sulfureux, des amoureux des sensations. Nightcrawler fait donc dans la morale facile à peu de frais en désignant des coupables profondément a-normaux et donc extraordinaires, lointains : en fait, il déréalise tout ce qu’il accuse. Il en fait le jouet d’un beau film-fantasme, ce qu’était d’ailleurs Drive, justement, produit dans lequel la critique sociale, plus encore sous un angle moraliste poli et mainstream, aurait été irrecevable et d’ailleurs n’a jamais été envisageable. Night Call ne sert qu’à s’offusquer de quelque chose qui n’est pas ‘si’ réel et ne nous concerne pas nous : c’est la société qui aurait produit ce mal ou laisserait ce mal proliférer.


L’existence des spectateurs est donc en somme éludée. Mais où sont les gens ordinaires là-dedans ? Et où sont les réalités sociales et politiques là-dedans ? Comme thriller, Night Call est très bon, visuellement délicieux, froid et dépassionné sous des allures chatoyantes reflétant celles, enthousiastes, de son (anti-)héros. La mise en scène elle-même est assez impersonnelle, avec des pics de virtuosité. Parfois le film sait être flamboyant tout en conservant sa froideur totale. Il livre un moment magique assez superbe, neutre et d’autant plus insolent pour le coup : lorsque Lou est venu à bout de ses poursuivants et vient remettre à sa supérieure ses meilleures photos, la séquence touche à la grâce ; la grâce dans un monde tel que celui-là, où Lou est un héros.


http://zogarok.wordpress.com/2014/12/30/night-call/


http://www.senscritique.com/film/Le_Loup_de_Wall_Street/critique/29981992

Créée

le 29 déc. 2014

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Zogarok

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