Impossible de ne pas avoir le mot “attente” à la bouche en évoquant Nightmare Alley. Cela faisait cinq ans que Guillermo del Toro n’avait rien proposé en salle de cinéma, depuis La forme de l’eau (2017). Le réalisateur était donc attendu au tournant. Et pour éblouir son public, rien de mieux que de s’entourer d’un casting qui brille de mille feux. Les géniales Cate Blanchett, Rooney Mara et surtout Toni Collette apportent avec elles leur lot de fascination. Mention spéciale à la première, pleine de charme et de mystères, plus que convaincante dans la peau d’une femme fatale. Willem Dafoe, comme à son habitude, est un parfait second rôle, tout comme Holt McCallany, toujours aussi excellent.
Mais dans Nightmare Alley, c’est un flamboyant Bradley Cooper qui vole la vedette à ses congénères. Si on peut remettre en question certains de ses choix de carrière, l’acteur, déjà mémorable dans le Licorice Pizza de PTA sorti quelques semaines plus tôt, est là encore impeccable. Son personnage plein de contradictions renferme un délicieux mélange de finesse et de bestialité, que l’acteur habite littéralement. En revêtant cette équipe haut en couleur de costumes d’une élégance qu’il est difficile de ne pas relever, Del Toro fait preuve d’une audace remarquable. Tel un maître d'échec, il déplace ses pions de case en case, étant ici des décors plus sophistiqués les uns que les autres. Rien à redire donc sur la plastique du film, qui sert idéalement son déroulé et qui, le temps de certaines scènes, nous laisse sans voix.
Si sa forme est convaincante, le fond de Nightmare Alley est fait pour diviser. Le long métrage reste en effet en surface durant ses deux premières heures, pour nous offrir une dernière demi-heure à couper le souffle. Alternant entre des séquences soporifiques bien que nécessaires et des scènes grandioses de par leur intensité, Del Toro mène à la baguette son spectateur. Si on lui laisse le temps de s’installer, ce faux rythme s’avère être un choix intelligent, patience étant mère de vertu. Sans jamais regarder en arrière, Nightmare Alley nous offre cependant une trop brutale transition entre deux univers bien distincts l’un de l’autre. Si la deuxième partie du film est de meilleure qualité, il est cependant regrettable que le côté “fantastique” du film disparaisse. Hormis ces quelques petits défauts, Nightmare Alley nous offre un spectacle plein de rebondissements et digne d’un très bon polar, ce qu’il est.
La dimension psychologique des personnages est abordée durant la totalité de l'œuvre, jusqu’à en devenir l’un de ses sujets principaux. Le mensonge, l’hypocrisie, l’avarice et autres manipulations mentales ne font qu’un avec l’hypnose et la corruption. C’est cependant dans son traitement de la notion de péché que le film excelle. Entre violence gratuite, addictions et vieux démons, chaque héros a sa part d’ombre, comme dans une partie de Cluedo.
On ressort de ce Nightmare Alley lessivé par sa durée, asphyxié par son rythme, envoûté par son univers. Mais on n’en ressort pas déçu, loin de là. Le cinéma de Del Toro continue de s’autoriser de multiples libertés.