A bien y réfléchir, Weinstein aura eu deux carrières décisives sur la production cinématographiques : celle à la tête de Miramax, et celle après sa chute, occasionnant une prise de conscience qui ne cesse de laisser des traces dans les œuvres qui sortent aujourd’hui. Un tour des bandes annonces actuellement dans les salles fait clairement état de cette nouvelle manne, de la comédie populaire française (Une belle équipe, 10 jours sans maman) au film de société à l’américaine (Scandale), qui donne une pseudo bonne conscience aux coupables d’hier et caresse le public dans le sens d’une morale scandaleusement récente.
Le nouveau projet du réalisateur taïwanais Midi Z s’inscrit dans cette tendance, puisqu’il suit le destin d’une comédienne contrainte à toutes les compromissions pour obtenir un rôle de premier plan, soit le cœur même de l’affaire Weinstein délocalisé à Taipei.
Nulle prétention documentaire, ou de film à thèse pour le formaliste Midi Z néanmoins : dans le sillage troublé d’une audition traumatique, le cinéaste crée un labyrinthe hypnotique, naviguant entre les temporalités, le réel et la fiction, chaque séquence commençant sans qu’on sache si l’on est dans une scène tournée ou dans le réel du personnage de l’actrice. On pense bien évidemment aux expérimentations de Satoshi Kon dans Perfect Blue, ou aux confusions volontaires imposées aux personnages féminins de Lynch (Mulholland Drive, Inland Empire) ou De Palma (Passion, Femme Fatale). Le procédé, qui vire un peu la recette à la longue, s’avère néanmoins efficace dans la mesure où il permet une alliance ambivalente entre le glamour et la cruauté. A chaque fois, il est question d’une femme se débattant entre les mains d’un milieu où le pouvoir est exclusivement masculin. L’image varie en fonction du cadre du récit, que ce soit la destinée du père en proie à des pressions dues probablement à ses dettes, ou des tournages à l’esthétique glacée et clinique, et le travail sur le son, dans ces corridors ou ces espaces étouffants accentue la perte des repères d’une femme poussée à capituler pour briller dans la fiction. Le regard sans concession sur le monde du cinéma, où le réalisateur démiurge laisse libre cours à son emprise, jusqu’au sadisme (sur le modèle de Zulawski ou Pialat) parachève cet itinéraire en eaux troubles. La fascination plastique pour les environnements, la photographie ou l’évidente beauté de la comédienne Wu Ke-xi (par ailleurs investie aussi à l’écriture) se paie systématiquement de scrupules sur la violence qui s’y joint.
Dépassant la banale dénonciation du film à thèse, Nina Wu se veut donc avant tout une plongée dans les méandres de la création et du jeu complexe à l’entrecroisement des artifices de la fiction, des constructions esthétiques et des investissements de ceux qui les construisent. Un aveu de faiblesse dans un geste virtuose, une fragilité revendiquée (de l’ego, de l’orgueil, de la vanité) au service d’un conte vénéneux auquel créateurs comme spectateurs ne semblent pas pouvoir renoncer.