L'imaginaire japonais du XXème siècle fut fortement marqué par les histoires de samouraïs, très présentes dans la littérature et le cinéma de l'époque, qui esquissent des récits sanglants à base de combats entre guerriers suivant le bushido, rônins et ninjas dans un Japon féodal, comportant des personnages inventés, comme avec Zatoichi, masseur aveugle et as du sabre qui fut l'objet de nombreuses itérations cinématographiques de la part de Kenji Misumi, ou encore Ogami Itto, tueur à gages en quête de vengeance et héros du très grand manga de sabre Lone Wolf & Cub, et de son adaptation cinématographique Baby Cart, et bien sûr tous ces grands films de Kurosawa, Hideo Gosha et Masaaki Kobayashi.
Mais également des samouraïs qui ont réellement existé, on pense bien sûr à Miyamoto Musashi, sabreur hors pair inventeur d'une technique de combat à deux sabres, héros entre autres du fameux roman La Pierre et le Sabre, d'Eiji Yoshikawa et du manga Vagabond, de Takehiko Inoué (également auteur de Slam Dunk).
C'est dans cette tradition d'enjolivation de personnages de l'histoire japonaise que ce poids lourd de la japanimation des années 80-90 qu'est Yoshiaki Kawajiri (La cité interdite, Vampire Hunter D : Bloodlust, Cyber City Ahegao...) vient s'inscrire, en adaptant le personnage de Jubei Mitsuyoshi Yagyu, héros des romans de Futaro Yamada, qui ont également inspiré le manga Basilisk.
Le film d'animation qui s'en vient, produit par le studio Madhouse et contant les tribulations de Jubei, rônin solitaire fichtrement balèze, qui est amené à collaborer avec une ninja-waifu et un papy-ninja (dont le bâton capable de s'allonger rappelle celui du héros de Goku Midnigth Eye, série d'OAV forte de deux épisodes réalisée par Kawajiri quelques années plus tôt) contre les projets de l'ignoble Gemma, un ninja aussi puissant que cruel, incarnation de l'égoïsme poussé à son plus haut degré (et accessoirement ennemi de longue date de Jubei), visant à renverser le shogunat (dont le plan rappelle pas mal le scénario de Goyokin, l'or du Shogun, de Hideo Gosha) et sa petite troupe de ninjas : les Huit démons de Kimon.
Il est d'aileurs assez ironique que Gemma meure à cause de l'or qu'il convoitait tant.
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L'intérêt du film ne réside pas dans son scénario simple, mais cependant efficace et qui prend le temps de poser ses personnages, mais dans ses combats rapides, nerveux et hautement satisfaisants, où les personnages sautent de toit en toit, se tailladent à coups de katanas, répandent leurs tripes et leur hémoglobine par terre, qui ne comportent d'ailleurs pratiquement pas de musique, et qui ne se gagnent pas juste parce que Jubei est aussi badass que Dirty harry (ne le rendant pas invincible), mais aussi parce qu'il se fait aider par ses deux alliés. Les bastons se démarquent de plus par leur inventivité : chaque démon de Kimon a sa propre technique mêlée d'astuce et de magie pour s'assurer la victoire : il y a un goron avec sa grosse épée, il y a le nain avec une ruche dans le dos, il y a celle qui se déguise et balance des serpents au moment où l'on s'y attend le moins, etc...
Une telle diversité des moyens employés vient du fait que Kawajiri puise également dans la veine du Wu Xia Pian, cinéma de sabre chinois, hérité d'une longue tradition littéraire de romans de cape, d'épée et de sorcellerie, comme Au Bord de l'eau, de Shi Nai-an, les Quatre brigands du Huabei, de Gu Long, ou encore La Pérégrination vers l'Ouest, de Wu Cheng en.
Le genre avait connu une renaissance dans la première moitié des années 90 grâce à Tsui Hark, et permettant à des chefs-d'oeuvre, comme The Blade, l'Auberge du Dragon, Blade of Fury ou encore Swordsman (ce fut d'ailleurs grâce à cette renaissance que Ninja Scroll put être réalisé) de voir le jour. Des caractéristiques de ce cinéma, Kawajiri prend l'érotisme sous-jacent, la tendance de nombreux personnages à se déguiser, la petite pincée d'humour dans certains combats, et la capacité, à la manière d'Homère, des contes populaires, des légendes arthuriennes et des meilleurs romans de Sword & Sorcery, à marier histoire, combats sanglants et magie, les démons de Kimon sont par exemple au nombre de huit, qui est un chiffre sacré dans la religion bouddhiste, de plus, le combat dans un temple (qui est un sacrilège) contre l'un des démons montre bien leur côté immoral et inhumain.
Un super film d'animation bien animé malgré son petit budget, qui a flopé au Japon mais a connu un sacré succès en occident, mélange les genres, ne se regarde pas le nombril et est bien moins décérébré qu'il n'en a l'air.
Le trailer déchire, aussi.