Ninja Scroll
7.5
Ninja Scroll

Long-métrage d'animation de Yoshiaki Kawajiri (1993)

Kawajiri, il a un peu bercé mes 14 – 15 ans. En ce temps, il faut dire qu’au lieu de bosser en classe, j’usai jusqu’à la démagnétisation les VHS de Cyber City (entre autres), achetées au Forum des Cartoonists (aujourd’hui hideusement baptisé Mangazur) et éditées par le regretté éditeur Manga Video ; j’en ai même repompé honteusement le mecha design du véhicule de la première OAV pour une de mes BD. À cette époque là, je croisais régulièrement jaquettes, articles, photos des œuvres du bonhomme dans Animeland (alors fanzine quasi introuvable dans mes contrées…et affreusement cher) ou Mad. Je l’avais aussi furtivement aperçu sur la série de courts « Memories ». C’est vous dire l’impression de familiarité nostalgique qui réchauffe les globes oculaires à la vision d’une œuvre réputée encore inédite à mes yeux.

Je sais, vous vous demandez si je vais encore vous les secouer longtemps avec ma vie avant de parler de Ninja Scroll.

Non mais c’est pour l’état d’esprit ; c’est important le contexte, n’voyez. Y avait pas d’internet en 1994, pour trouver des trucs il fallait des correspondants à Paris et/ou au Japon. Tout était rare, tout était exotique, tout était excitant, tout était précieux.

Bordel.

(Sinon maintenant en 2013 y a le ministre des prix et je l'ai chopé pour 6€ neuf édition 10eme anniversaire.)

Tout ça pour vous dire —et ça ne m’étonne guère— que Ninja Scroll est à la hauteur de l’artisan et des dires de mes éclaireurs.

Production de qualité mais formellement typique de l’époque (charme inhérent laissé à l’appréciation de chacun), Ninja Scroll c’est du concept : un néo chambara noir fantastico jouissif. Un shéma en beat’em all, un hommage aux sabres d’exploitation seventies avec giclées d’abuseur, de la violence crue, de l’érotisme sombre, une atmosphère lourde, et un portrait des aspects malveillant de l’âme humaine au travers de personnages démoniaques ou extraordinaires. Mensonge, manipulation, jalousie, envie, luxure, soif de pouvoir, avarice revêtent les traits poussifs d’êtres et créatures fantastiques, pourtant reflets des pires motivations de mortels en perdition.

Les thèmes chers à Kawajiri se retrouvent ici dans un récit efficace et rythmé, dynamique, jouissif, à l’ambiance oppressante palpable —grande constante de qualité chez le réalisateur, et aux solides atouts artistiques et techniques. Charac design reconnaissable entre mille (traits androgynes, courbes poussives, atrophies anatomique, corps longilignes et beauté étrange), montage aux petits oignons, mise en scène nerveuse des combats, sound design de circonstance, mais aussi personnages hideux ou à l'attraction fatale, animation fluide et techniques ninja de malades.

Un bémol: certains démons sont un poil sous exploités. Si Benisato et Tessai ont le temps de faire leur petit effet, j’ai personnellement regretté la façon dont certains sont expédiés (putain Yurinmaru l’omelette norvégienne, Ututsu le Shiryu du pauvre) ou sous utilisés (Shijima). Quant au big boss Genma, sorte de T-1000 organique, dommage que son aura d’immortel ne soit pas plus développée.

À part ça, Ninja Scroll tient toutes ses promesses. Percutant, jouissif, suintant la vision personnelle de Kawajiri par tous les pores ; sombre, pessimiste, cynique, désabusé, mais toujours contrasté par une histoire d’amour en filigrane qui laisse l’impression salvatrice d’avoir assisté à une peinture décalée et de genre du genre humain.

Du genre qu’on est content d’avoir acheté neuf pour 6€ après avoir été motivé par les avis de ses éclaireurs.
real_folk_blues

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

53
9

D'autres avis sur Ninja Scroll

Ninja Scroll
Velvetman
9

Post tenebras lux

Ninja Scroll fait l’effet d’une fabuleuse claque avec son univers endiablé et transgressif, ne faisant jamais dans la demie mesure. Dès cette première séquence sur le pont avec ces joutes aux sabres,...

le 27 janv. 2016

43 j'aime

4

Ninja Scroll
RKM
9

Toujours aussi efficace

J'ai vu ce film d'animation sur Canal +, à l'époque de sa sortie en France, vers 1996. C'était une vrai claque. C'était de l'ultra-violence, des bras arrachés pour en boire le sang tel un jus de...

Par

le 15 déc. 2010

36 j'aime

1

Ninja Scroll
B_Jérémy
10

Le top du top ! Une virée dans l'enfer du grand Yoshiaki Kawajiri.

Toi et ton or allé en ENFER !!! Sortie en 1993 et produit par le studio Madhouse avec à la réalisation ainsi qu'au scénario Yoshiaki Kawajiri le maître de l'animation japonaise et grand vainqueur...

le 1 déc. 2018

30 j'aime

17

Du même critique

Gravity
real_folk_blues
5

2013 L'odysée de l'espèce di counasse...

Évidemment, un pauvre connard cynique comme moi ne pouvait pas ne pas trouver son mot à redire. Évidemment, si je devais me faire une idée de la qualité du truc au buzz qu’il suscite, deux options...

le 28 oct. 2013

285 j'aime

121

Divergente
real_folk_blues
1

Dix verges hantent ces lignes...

Ça fait un moment que j’ai pas ouvert ma gueule par ici. J’aurais pu faire un come back de poète en disant de bien belles choses sur Moonrise Kingdom, vu récemment ; mais non. Fallait que ça...

le 15 avr. 2014

272 j'aime

92

Upside Down
real_folk_blues
2

De quoi se retourner dans sa tombe...

J’ai trouvé une formule tirée de ce film à la rigueur scientifique inégalable : Bouillie numérique + histoire d’amour = Twilight. Je soustrait les poils de Taylor Lautner et je rajoute des abeilles...

le 30 avr. 2013

243 j'aime

39