Kawajiri, il a un peu bercé mes 14 – 15 ans. En ce temps, il faut dire qu’au lieu de bosser en classe, j’usai jusqu’à la démagnétisation les VHS de Cyber City (entre autres), achetées au Forum des Cartoonists (aujourd’hui hideusement baptisé Mangazur) et éditées par le regretté éditeur Manga Video ; j’en ai même repompé honteusement le mecha design du véhicule de la première OAV pour une de mes BD. À cette époque là, je croisais régulièrement jaquettes, articles, photos des œuvres du bonhomme dans Animeland (alors fanzine quasi introuvable dans mes contrées…et affreusement cher) ou Mad. Je l’avais aussi furtivement aperçu sur la série de courts « Memories ». C’est vous dire l’impression de familiarité nostalgique qui réchauffe les globes oculaires à la vision d’une œuvre réputée encore inédite à mes yeux.
Je sais, vous vous demandez si je vais encore vous les secouer longtemps avec ma vie avant de parler de Ninja Scroll.
Non mais c’est pour l’état d’esprit ; c’est important le contexte, n’voyez. Y avait pas d’internet en 1994, pour trouver des trucs il fallait des correspondants à Paris et/ou au Japon. Tout était rare, tout était exotique, tout était excitant, tout était précieux.
Bordel.
(Sinon maintenant en 2013 y a le ministre des prix et je l'ai chopé pour 6€ neuf édition 10eme anniversaire.)
Tout ça pour vous dire —et ça ne m’étonne guère— que Ninja Scroll est à la hauteur de l’artisan et des dires de mes éclaireurs.
Production de qualité mais formellement typique de l’époque (charme inhérent laissé à l’appréciation de chacun), Ninja Scroll c’est du concept : un néo chambara noir fantastico jouissif. Un shéma en beat’em all, un hommage aux sabres d’exploitation seventies avec giclées d’abuseur, de la violence crue, de l’érotisme sombre, une atmosphère lourde, et un portrait des aspects malveillant de l’âme humaine au travers de personnages démoniaques ou extraordinaires. Mensonge, manipulation, jalousie, envie, luxure, soif de pouvoir, avarice revêtent les traits poussifs d’êtres et créatures fantastiques, pourtant reflets des pires motivations de mortels en perdition.
Les thèmes chers à Kawajiri se retrouvent ici dans un récit efficace et rythmé, dynamique, jouissif, à l’ambiance oppressante palpable —grande constante de qualité chez le réalisateur, et aux solides atouts artistiques et techniques. Charac design reconnaissable entre mille (traits androgynes, courbes poussives, atrophies anatomique, corps longilignes et beauté étrange), montage aux petits oignons, mise en scène nerveuse des combats, sound design de circonstance, mais aussi personnages hideux ou à l'attraction fatale, animation fluide et techniques ninja de malades.
Un bémol: certains démons sont un poil sous exploités. Si Benisato et Tessai ont le temps de faire leur petit effet, j’ai personnellement regretté la façon dont certains sont expédiés (putain Yurinmaru l’omelette norvégienne, Ututsu le Shiryu du pauvre) ou sous utilisés (Shijima). Quant au big boss Genma, sorte de T-1000 organique, dommage que son aura d’immortel ne soit pas plus développée.
À part ça, Ninja Scroll tient toutes ses promesses. Percutant, jouissif, suintant la vision personnelle de Kawajiri par tous les pores ; sombre, pessimiste, cynique, désabusé, mais toujours contrasté par une histoire d’amour en filigrane qui laisse l’impression salvatrice d’avoir assisté à une peinture décalée et de genre du genre humain.
Du genre qu’on est content d’avoir acheté neuf pour 6€ après avoir été motivé par les avis de ses éclaireurs.