L’un des avantages à voir un film en Festival provient de l’absence totale de communication en entourant certains. On les voit parce qu’ils font partie de la sélection, et à l’exception de la connaissance du réalisateur ou de certains comédiens, on est vierge de toute information lorsque la lumière s’éteint.


La plupart des spectateurs qui iront voir Nitram connaissent son issue, et savent vers quel drame le récit converge. Ne pas l’avoir su au moment de sa découverte lui a probablement donné une saveur particulière. Le récit s’ouvre comme un film indépendant, suivi caméra à l’épaule, où une famille un peu cabossée par l’existence gère un fils à la marge, fantasque et difficilement canalisable, entre accès de colère et fascination enfantine pour les feux d’artifice. Un nouvel exercice pour l’éclectique Justin Kurzel, capable d’adapter des jeux videos (Assassin’s Creed) comme Shakespeare (Macbeth).


Le contexte social, souvent mis en avant, vient nourrir la thématique de dislocation de la famille : des affaires qui tournent mal, des désillusions inconsolables et le sentiment que la vie ne fait que s’improviser par séries de déceptions. Assez vite, la frontière entre les adultes et le jeune homme s’estompe : par la fragilité du père, l’inquiétude de la mère et la rencontre d’une amie chère, compagne idéale dans ces comportements perchés qui va lui permettre de creuser son nid à l’abri du monde.


L’interprétation de Caleb Landry Jones est évidemment à saluer pour ce personnage à fleur de peau qui, dans quelques moments de lucidité, admet ne pas reconnaître la personne qu’il regarde dans le miroir, et échouer dans sa quête de normalité. La mise en scène accompagne avec pertinence la perception d’un être en décalage, pour lequel les repères s’étiolent à mesure que sa solitude s’accroît. Le regard assez froid, voire clinique, accompagne ainsi une descente en prenant soin d’éviter les facilités d’un discours psychiatrique ou sociologique. La caméra suit, constate, un peu à la manière dont Haneke dissèque des situations, des espaces et non des personnages, tout en gardant une certaine délicatesse dans le recul proposé – convoquant, en cela, le regard de Gus Van Sant dans Elephant.


La dérive finale est certes annoncée par quelques fascinations antérieures (le feu, les explosions), mais n’en sera pas moins surprenante pour qui ne connaît pas le fait divers inspirant le film. La pudeur manifestée pour approcher cet esprit torturé restera de mise en ce qui concerne la tuerie, filmée hors-champ et comme le point de départ d’une autre histoire, qui n’appartient plus à celui qui l’a si brutalement écrite. Le carton final, militant contre la libre circulation des armes, est certes légitime dans son propos : il n’en déplace pas moins la tonalité établie jusqu’alors, et tente une nouvelle approche de film dossier qui ne semble pas bien se raccorder à ce qui précède. Comme s’il fallait, pour éviter de se voir accuser d’empathie avec un tel individu, dénoncer explicitement un élément parfaitement lisible.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Vu en 2021, vu en salle 2021 et Festival de Cannes 2021

Créée

le 16 mai 2022

Critique lue 789 fois

18 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 789 fois

18
1

D'autres avis sur Nitram

Nitram
Fleming
8

Genèse d'un monstre

Je n'avais jamais entendu parler de cette histoire, pas vu la B. A., et le titre du film ne me révélait rien de son contenu. Je savais seulement que Caleb Landry Jones en était l'acteur principal et...

le 26 mai 2022

6 j'aime

5

Nitram
mymp
7

The killer inside me

Le passé criminel de l’Australie, son pays, semble encore et constamment tarauder (passionner ? Obséder ?) Justin Kurzel («Depuis mon premier film, je me suis intéressé aux raisons pour lesquelles...

Par

le 20 mai 2022

3 j'aime

Nitram
Pom_Pom_Galli
8

Caleb Landry Jones

Ca fait quelques années déjà que Caleb Landry Jones traine sa gueule d'Epagneul Breton dans quelques seconds rôles. A chaque fois, ce dernier m'avait fait forte impression. Probablement à cause de...

le 13 mai 2022

3 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53