Véritable film fleuve qui abreuvera sans discontinuer le spectateur de détails sur le personnage en scène, Nixon est un véritable triomphe, et peut être le meilleur film d’Oliver Stone. Réexploitant l’expérimentation faite sur Tueurs nés en la rendant toutefois plus digeste (elle apparaît souvent en arrière plan), il en conserve toutefois certains tics visuels, comme l’usage de plan en noir et blanc insérés par à coup dans le long métrage en couleur, conférant une certaine agressivité à certaines séquences, et le plus souvent prétexte à des flashs back évocateurs. Stone soigne clairement le contexte dans lequel Nixon évolue, et c’est bien en cela qu’il se révèle génial. En cernant avec précision les conditions dans lesquelles ce candidat républicain évolue, en en faisant un modèle d’intégrité (il joue fair play dans ses premières candidatures à la présidence alors que Kennedy utilise des infos de la CIA pour doper ses discours) qui cède peu à peu aux magouilles et aux concessions, en illustrant son côté politicien voulant œuvrer pour la grandeur de son pays. Le personnage a une vision, mais question magouille, il semble incapable de faire dans la subtilité (et c’est finalement l’accumulation de magouilles qui explose au cours de la déchéance du personnage). Ce n’est qu’à l’occasion d’un meeting au Texas qu’il rencontre les représentants des lobbies pétroliers qui lui proposent de les représenter lors d’une prochaine élection. Et les sous entendus de leur discours, sous entendant qu’une élection présidentielle aura lieu sous peu alors que Kennedy vient juste d’être élu, annonce déjà la scène d’assassinat la plus célèbre de l’histoire de l’Amérique. Il y a bien de la subversion dans Nixon, et rarement un film aura aussi bien cerné l’incessante lutte des lobbies et de toutes les formes de pouvoirs qui jouent sur la politique d’un président. Souvent à base d’argent, et d’une façon plus importante sous formes d’informations (ces mêmes quêtes d’informations qui conduiront Nixon à approuver la création de la cellule d’écoute et de surveillance de ses opposants politiques), le film cerne avec une justesse aussi magistrale que séduisante les tentatives d’un homme qui se débat pour donner corps à sa vision alors qu’il se fait démolir de toute part par la presse et l’opinion publique. La crise du Viet Nam en est l’épisode le plus parlant, le film illustrant bien les divergences de points de vue entre les conseillers de la présidence, et la décision finale qui fait s’éterniser le conflit en l’étendant même jusqu’au Cambodge, par peur de perdre la face en sonnant une retraite qui aurait l’air d’une faiblesse. La confrontation entre Nixon et des étudiants manifestant pour l’arrêt de la guerre est, là aussi, une séquence clef, opposant merveilleusement les points de vue des différents protagonistes, et révélant l’incapacité de Nixon à changer rapidement la politique de guerre engagée par ses prédécesseurs, quelle que soit sa volonté. Une dure leçon de politique, qui appuie finalement l’image d’un Nixon prisonnier du « système », incapable de changer radicalement le déroulement de certaines grandes questions de l’échiquier politique. Enfin, et c’est sans doute là que la performance d’Anthony Hopkins dans la peau du président se révèle épatante, le film cherche à montrer quel genre d’homme était Nixon, à définir son caractère. Au-delà du pouvoir (et de la révélation catastrophique des ficelles qu’il a pu tendre pendant ses mandats), le film révèle son caractère de politicien déterminé, mais un peu mou (c’est aussi ce qui a amené les lobbies à le soutenir, ce dernier s’étant révélé facilement prévisible). Et c’est aussi ce caractère qui ressort dans les nombreuses scènes filmées en compagnie de son épouse, une modèle d’épouse présidentielle, consciente des enjeux déterminants qui se trament autour de son mari et qui se révèle toujours d’un conseil avisé. Un excellent personnage qui joue beaucoup dans la révélation du personnage, qui cache finalement beaucoup son caractère à ceux qui l’entoure. Un seul et édifiant détail pour s’en convaincre, le sourire commercial que Nixon arbore à chacune de ses apparitions publiques (où sa mine bourrue fait place à un sourire faux de pure circonstance), subtilement mis en abîme dans l’introduction du film, où les poseurs de micros regardent un film pour vendeur professionnel où un patron conseille à un représentant de se vendre lui-même avant de vendre le produit, et où il termine son discours avec le même sourire commercial que Nixon affichera tout au long de ses mandats. Humanisant considérablement le président dans sa chute inexorable (la séquence de la prière en devient gênante d’impudeur, les pleurs du président se révélant particulièrement touchants), Nixon est un hommage très noble à l’une des personnalités politiques les plus influentes des années 70, faisant d’énormes efforts de volonté pour rester objectif dans sa description méthodique des faits abordés, tout en en profitant pour égratigner l’image d’une bureaucratie irréprochable à la maison blanche. Un travail énorme d’une cohérence remarquable, et peut être l’un des meilleurs biopics politiques jamais réalisé au cinéma. Oliver Stone a l’étoffe des plus grands.