Chili, 1988. Sous la pression internationale, Pinochet tente de se refaire une virginité et une légitimité en organisant au moins un semblant de processus démocratique après quinze ans de dictature.
Ce sera un réferendum (plebiscito) ... qui finira à la De Gaulle.
Pendant quelques petites semaines, l'opposition (le cartel des partis de gauche et centre-gauche) a droit à 15 minutes de télévision. La dictature au pouvoir a droit également à ces mêmes 15 minutes. Plus le reste de la journée.
Si l'on ajoute à cela les traficotages et tripatouillages auxquels on est en droit de s'attendre dans tout scrutin bien organisé ... autant dire que les partisans du No à Pinochet partent battus d'avance.
Au point que la plupart n'entendent profiter de ces 15 minutes d'antenne que comme tribune politique pour dénoncer les exactions du franquisme chilien : enlèvements, tortures, assassinats, disparitions, la liste est longue et aujourd'hui connue.
Pourtant quelques politiciens plus avisés demandent à un jeune publiciste talentueux (une étoile montante du monde de la pub) de prendre en charge le clip de la campagne du No.
Jusqu'ici le jeune homme se tenait à distance respectueuse et craintive de la politique (son ex- est plus activiste mais se fait arrêter et castagner régulièrement). En faisant vendre des cocas et des micro-ondes, il gagne bien sa vie, roule en superbe fuego et profite du renouveau économique du Chili, réservé à l'élite embourgeoisée.
Mais qu'à cela ne tienne, quand on sait vendre du coca ou des micro-ondes, on sait certainement vendre un réferendum.
Et c'est parti ...
C'est parti pour un film très étonnant. Et très fort.
Des images jaunissantes, au format carré ... ça surprend un peu, ça peut même faire fuir mais on aurait bien tort car finalement cela permet un montage très habile et très fluide avec les vraies images de l'époque (dont évidemment les clips de la vraie campagne). C'est du cinéma 100% réalité : on est totalement immergé dans les années 80.
La première partie du film est passionnante qui raconte la naissance de l'idée : comment va-t-on vendre ce référendum ? Alors que les partis de gauche ne voient que la tribune offerte pour pouvoir enfin dénoncer ce qui doit l'être, dire à la face du monde ce qui doit être dit : l'horreur de la dictature. Mais cela n'est pas très vendeur et aurait plutôt tendance à faire peur et même à inciter à ne pas aller voter, ne pas s'exposer.
Le film est fort et rend bien compte de la chape de plomb qui pesait sur ces années-là : entre la pression policière toujours constante et le souvenir meurtri des années les plus dures de l'oppression.
Le décalage d'ambiance entre ce quotidien sombre et inquiétant et le clip de la campagne du No (Chile ! la Alegria ya viene !) est presque palpable.
La suite est toute aussi stressante, et on a beau connaître le résultat du référendum, on ne peut s'empêcher de s'accrocher à son fauteuil et de frémir à chacune des péripéties de la campagne.
Il faut dire qu'on s'identifie facilement au jeune publiciste qui regarde tout cela d'un air un peu ahuri (la fréquentation des cocas et des micro-ondes est plus reposante) : dévalant les rues de Santiago en skate, il représente la jeune génération chilienne qui aimerait bien tourner la page d'un passé trop sombre, celle d'un présent pas encore net et penser un peu à son futur. Quitte à passer trop rapidement sous silence le noir bilan de la dictature.
Ce jeune publiciste c'est Gael García Bernal que l'on avait déjà beaucoup apprécié dans un autre rôle tout aussi ambigü à l'occasion de Même la pluie.
Entre la tension constante et les images très typées, le film de Pablo Larrain laisse une très forte impression, durable.
Un film très original dans sa forme et passionnant sur le fond.
Alors pour No, nous on dit Oui !
BMR
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le 25 mars 2014

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BMR

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