Signe des temps - l'Occident et nombre d'artistes orientaux s'étonnant de voir resurgir un asservissement de la femme, à travers certaines mises en pratique intégristes de la religion musulmane, alors que l'Europe venait tout juste de parvenir à s'en affranchir, après des siècles d'endoctrinement chrétien -, le dernier film en date du réalisateur belge Stephan Streker s'inscrit dans la lignée d'un "Mustang", film franco-turc dénonçant la tyrannie patriarcale exercée sur le destin de cinq sœurs, et d'un "Le ciel attendra", film français se penchant sur les méthodes de recrutement de femmes occidentales destinées à assumer différents rôles auprès des troupes de l'auto-proclamé État Islamique. La sphère est ici plus intime, resserrée sur les pratiques de mariage arrangé, voire forcé, au sein de la communauté belgo-pakistanaise.


Inspiré par un fait divers qui s'est déroulé en Belgique, "Noces" nous convie donc à entrer dans l'intimité de Zahira, lumineuse Lina El Arabi qui sait se faire hermétique et butée lorsque son personnage doit se mettre en position de résistance. Jeune fille d'emblée écartelée au creux d'une vie véritablement double et ne trouvant à se rassembler qu'au contact de ce qui se joue à l'intérieur de son propre corps et dont elle répugne à se séparer : le film s'ouvre sur l'entretien médical qui devra précéder une interruption de grossesse. Vie double, par ailleurs, puisque offrant, au lycée, un visage de liberté à l'occidentale, et à la maison, dans la famille, une soumission absolue à "la tradition", familiale et religieuse. Entreront ainsi en violente contradiction ses amours, libres, Zahira peinant même à accepter totalement le joug de l'un d'entre eux, et le projet de mariage qui devrait l'unir à l'un des trois époux pakistanais entre lesquels sa famille la somme de choisir, au moyen d'une photo puis de conversations se déroulant sur Skype. On mesure combien l'âme de cette jeune fille ayant reçu une éducation laïque, dans un lycée public, pourra se rebeller...


L'une des très grandes et très respectables forces du film réside dans le fait d'éviter soigneusement et absolument toute caricature, chaque point de vue étant pour ainsi dire rendu accessible, car exposé en toute impartialité. À preuve, cette scène, après la première étape du mariage d'abord virtuel et réalisé par le truchement d'Internet : le jeune mari présente par webcam, à sa fraîche épouse, l'ensemble de sa famille ; une famille qui se présente comme très agréable, souriante et fine, une famille que l'héroïne aurait donc peut-être pu choisir de son plein gré, si le choix lui en avait été laissé... Le réalisateur évite tout dénigrement de l'autre, mais indique ici clairement que l'intolérable réside dans la mainmise exercée, dans cet exercice revendiqué d'une privation de liberté. Droit que s'arroge la famille sur ses membres féminins, sur lesquels elle s'accorde tout pouvoir, au nom du respect des règles, de la tradition, de l'honneur, et de la sauvegarde des apparences.


Droits qui trouvent leur apothéose noire dans l'ultime scène, lorsque le grand frère profère, en serrant sa sœur contre lui, une parole qui ne devrait pouvoir être qu'une parole d'amour et de tendresse : "Tu es ma petite sœur". Parole que le spectateur craint de devoir entendre comme "Tuer ma petite sœur", en un aboutissement sombre de tout le rouge qui a parcouru le film, couleur chaude, couleur de vie, lorsqu'elle est animée et circule librement, couleur de mort, lorsqu'elle se fige parce qu'une main a décidé d'en interrompre le flux.

AnneSchneider
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le 27 janv. 2017

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Anne Schneider

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