Bertrand Bonello ne l’a pas dit explicitement, et puis ses influences viennent d’ailleurs, et peut-être n’a-t-il pas lu le livre, mais le Glamorama de Bret Easton Ellis a-t-il pu avoir, à un moment ou un autre, un ascendant quelconque sur l’écriture de son scénario ? D’abord dans la résonance du titre bien sûr, même si l’album de Nick Cave en est l’inspiration avouée, dans le thème abordé ensuite, cette jeunesse (faussement) rebelle qui, avide de flammes et d’anarchie, décide de foutre en l’air société et société de consommation. Suites impériales et clubs à la mode ont muté en un grand magasin chic et parisien, stars et top models en adolescents ordinaires, scènes de sexe, de torture et de carnages en quelques pas de danse sur I don’t like de Chief Keef ou un étonnant playback sur My way, mais les bombes, elles, sont toujours là, qui explosent.
En deux grandes impulsions scénographiques (l’une extérieure, tout en mouvements et en trajectoires, l’autre intérieure, statique jusqu’à l’implosion) structurées chacune par différents motifs formels (split screens, retours en arrière, plans séquences…) qui rappellent les heures de gloire théoriques de De Palma, Bonello compose un magnifique opéra de mort (même si le scénario pèche, parfois, par écarts et excès inutiles) qui, imprégné de romantisme naïf, d’ambiances atmosphériques et de Semtex, évoque la tentation (le fantasme) d’un idéal révolutionnaire vite rattrapé par la réalité (consumériste), et pulvérisé par la violence (étatique).
"Toutes les révolutions modernes ont abouti à un renforcement de l’État", a écrit Albert Camus dont la lucidité vibre d’un écho multiple, ultra contemporain, et jusqu’au cœur de cette œuvre stylisée et audacieuse. Dans leur désir d’anéantir les signes manifestes d’une société qu’ils rejettent (banque, ministère, symbole républicain) tout en révoquant religion et fanatisme, ces révoltés de la nuit, candides et beaux, se perdent dans les exigences d’une utopie contestataire, son ambition trop vaste pour eux, et ramenés in fine à leur simple condition sociale (futurs énarques, enfants de la cité, et non plus activistes en devenir), face à eux-mêmes dans l’illusion inquiétante de mannequins inanimés. C’est un fait : la lutte finale est bien finie, gisante à terre entre costumes Prada et télés à écran géant. Si le chaos leur (nous) appartient, alors le néant aussi.
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