Je suis sorti du film abasourdi et comblé. 48h après je cherche encore des réserves sans vraiment les trouver (peut-être l'affiche...).
Le film est composé de deux parties très distinctes : action puis attente.
Action : tuer l'époque
La première partie (à peu 45 minutes) expose une petite dizaine de jeunes gens dont on ne saura guère plus que le prénom (2 flash back font comprendre que certains sont frères et soeurs, camarades de classe ou amants). Ils ne font rien d'extraordinaire, prennent le métro, ouvrent des portes, louent une chambre d'hôtel. Régal de montage, la mise en scène révèle une tension qui, par à coups s'intensifie, alors qu'une horloge numérique apparait régulièrement en incrustation puisque le temps est visiblement compté. Déterminés, concentrés et calmes, on comprend qu'ils éxecutent un plan hyper minutieux. Cette mécanique muette (premiers dialogues après 15') est digne des grands polars, on pense à Melville ou au Jules Dassin de Du Rififi chez les hommes. Un premier climax vient ponctuer cette partie, le projet dérape mais pas assez pour ne pas atteindre son but. Une fois sa mission achevée, chaque protagoniste se débarrasse de son téléphone dans une poubelle, geste qui nous rappelle Peter Fonda jetant sa montre au début d'Easy Rider.
En équilibre entre les deux parties, il y a quelques très beaux plans de temps suspendu parmi lesquels celui de Sarah en attente de l'explosion d'une tour de la Défense, le visage impassible. On aura assez rapidement compris que le projet est une attaque terroriste simultanée dans quatre lieux stratégiques de Paris.
Attente : tuer le temps
Dès le début de la seconde partie du film la notion du temps change complètement. Reclus volontaires à l'intérieur de La Samaritaine où un de leur complice est vigile, André, David, Sarah, Mika, Yacine, Sabrina et Samir ont la nuit devant eux pour attendre que le vent de panique balaie la capitale. A la fermeture du magasin, on les voit, tels des fantômes, redonner vit à leurs corps cachés et prendre peu à peu possession des lieux. Alors que chaque seconde comptait au début du film, elles vont dorénavant paraître longues à tout le monde (sauf au spectateur !), Bertrand Bonello faisant à plusieurs reprises bégayer la trotteuse pour mieux décliner des instants fugaces mais incisifs selon différents points de vue. Le réalisateur va surtout faire du grand magasin son terrain de jeu. Il convient de louer le travail somptueux de la décoratrice Katia Wyszkop. Pendant plus d'une heure, le film devient immense, la mise en scène parvient à la fois à rendre l'espace ludique et peu à peu à le refermer comme un piège claustrophobique sur ses personnages. Mika se perd dans les escaliers, Yacine tourne en rond dans son kart. Bonello, génial chef d'orchestre, travaille l'espace, les lumières, la bande son et se joue de tous les possibles du grand magasin (écrans de télévision, jouets, prêt-à-porter...) pour lever le voile sur les personnalités de ces très jeunes gens. En apprentis terroristes appliqués, ils viennent de mettre littéralement le feu aux poudres, "plus rien de sera comme avant" dit Samir mais nulle idéologie ne sortira de leur bouche, nul discours. Tout est comme si leur "nuit bleue" avait pour objectif de marquer les esprits, d'opérer une cassure en imaginant que d'autres donneront suite au mouvement dans une sorte de cadavre exquis révolutionnaire. Bonello ne les juge pas, il ne les sauvera pas non plus. De corps inertes en corps inertes, tels des zombies, ils auront traversé cette seconde partie en chantant, riant, buvant, baisant.
Entre polar et film de genre, Nocturama est un film d'une maîtrise ahurissante qui offre au spectateur la part de spectacle que le titre annonçait (suffixe du grec ancien horama : spectacle). Le film est un choc esthétique dont je parie qu'il constituera auprès de certain(e)s une porte d'entrée vers la cinéphilie.