Alors là, ça ne va pas, mais pas du tout. La bande annonce faisait guère envie, il faut bien le dire. Mais jamais je n'aurai imaginé assister à un tel désastre, surtout venant de la part de celui qui a réalisé Black Swan, Requiem for a Dream ou The Wrestler. Noé, c'est un peu comme si le mec avait été constipé créativement après son chef d'oeuvre oscarisé et que d'un seul coup, il souffrait d'une diarrhée filmique aigüe en mode "fresque hollywoodienne biblique foireuse". Avouez que quelque part, ça a de la gueule. On en voit plus beaucoup des films qui essaient de se confronter à la Bible.
Mais c'est pas un mal non plus. Je veux dire, il y a tellement de problèmes ici qu'on a du mal à savoir lequel est le plus grave, ou le plus originel, pour emprunter un vocabulaire de circonstance. En l'occurrence, je veux bien accorder au réal que le ver est dans la pomme : je ne vois pas comment aujourd'hui un cinéaste "hollywoodien" (car Aronofsky n'est plus le grand cinéaste indépendant qu'il fut) pouvait faire quelque chose de bien avec comme sujet "l'arche de Noé". Si en s'en tient strictement au texte, ou disons aux textes puisqu'il s'agit d'un mythe, il n'y a pas grand chose à raconter, et surtout pas grand chose de vraisemblable. Une suite de miracles tous plus incohérents les uns que les autres en somme. Ca marche peut-être sur un format court ou pour du cinéma d'animation, mais en prise de vue réelles et pendant deux heures vingt, ça ne conduit qu'à de mauvais choix. Ainsi de remonter jusqu'à la Genèse et à la création, à de plusieurs reprises, dont une séquence au milieu du film qui m'a achevé. Ou bien d'ajouter des éléments de fantasy au scénario pour garder le spectateur un tant soit peu alerte. Sauf que la Bible c'est pas le Seigneur des anneaux putain.
Non mais sérieux, c'est quoi ces "veilleurs" là ? D'où il nous sort cette histoire d'anges déchus qui aidèrent la lignée de Caïn (wuuuuuuut ?), de technologies minières avancées, de minerai magique, etc. ? Franchement, toute l'exposition du film me donnait envie de crever. Je ne suis pas un exégète de la Bible, ce n'est pas mon livre de chevet et je ne l'ai même jamais vraiment lu mais j'en connais les grandes lignes. Et surtout, je sais reconnaître un viol quand j'en vois un. Bref, même si je suis profondément athée et que la notion de blasphème me fait plutôt bander en temps normal, là je l'ai juste vécu comme une espèce de modernisation totalement inutile et douteuse du texte pour le rendre plus hype - je crains même des buts un peu plus obscurs d'évangélisation ?! Bref, non seulement c'est complètement idiot mais en plus ça contredit parfois le texte et traduit une profonde méconnaissance du déroulé des événements : Lamech dans le texte est un descendant de Caïn, pas de Seth. Ici c'est le père de Noé. Ca partait mal quand même, huh ?
Bon et puis les choix artistiques n'aident pas vraiment faut dire : tourner en décors réels saupoudrés de quelques fonds verts et rarement une bonne idée quand on y met vraiment pas les moyens ou qu'on s'évertue à filmer des espaces essentiellement désertiques. Paie tes effets dégueu avec les veilleurs qui se détachent mal sur le fond étoilé. Paie ton mix chelou d'Islande et de Nouvelle Zélande (Peter Jackson coucou). Paie ton mauvais goût constant à base de galaxies visibles dans le ciel dans chaque plan, d'ondes lumineuses en provenance de monsieur Dieu lui-même, effets kitsch et toc de partout, images de synthèse dégoulinantes pour les animaux, et j'en passe. Rien à sauver de ce côté là, pas le moindre charme, pas la moindre personnalité qui émane de ces images. Ca rappelle en fait le pire du pire d'Aronofsky, à savoir The Fountain et son pseudo questionnement métaphysique sur fond de carnaval pompier new age. Au moins là on avait un peu d'invention et le délire allait tellement loin que parfois ça passait. Noé, c'est le même vomi thématique (le "Créateur" a toutes les sauces, honnêtement je crois ne jamais avoir vu un film aussi maladroitement créationniste et maladroit vis à vis de la religion et de la foi) mais une esthétique digne d'un téléfilm de W9. Avec plus d'argent.
La musique de Clint Mansell est inintéressante (et c'est beaucoup dire). Les acteurs peinent à convaincre, enfermés dans des personnages et des situations peu crédibles. Le morceau de bravoure de Jennifer Connely, toute en larmes et souffle coupé, est un moment difficilement regardable sans un rictus nerveux : "Punish me Noah, Punish me !" (j'ai été très vilaine, pourrait-on ajouter). Le film est absolument interminable, la partie survival est absurde, la partie huis clos grotesque. Le suspense autour de ces nouveaux nés est risible : quiconque connaît un peu l'histoire sait que de toute façon cela n'existe pas. Et franchement, un double infanticide dans un film américain d'inspiration biblique, really ? Et puis bonjour le film qui laisse béer les énormes incohérences de la Bible. Je me suis amusé à me demander ce qu'il advenait des poissons en fait. Parce qu'ils ont l'air moyen d'exister à la base, puis on a droit à la séquence dite "de la source" qui est une régénérescence foireuse, puis les animaux arrivent mais forcément pas les poissons, donc en fait si tu veux niquer Dieu, sois un poisson et puis c'est tout. Ah et puis visiblement, 40 jours et 40 nuits (le déluge, donc), ça fait grosso modo 9 mois. Tout va bien. Keep calm and finish it. Comme dans The Fountain, "finish it !".
Bref, esthétique dégoulinante, acteurs vaguement insupportables, scénario d'une crétinerie absolue, morale douteuse, parallèle absurde avec notre civilisation (c'est quoi le message ? Dieu va nous punis si on continue, really ?), cahiers des charges hollywoodien lambda, final ridicule (Noé bourré tout nu sur la plage et apothéose divine cul-cul au possible)... Non ce film est bel et bien une chiure, une coulure de merde bien liquide, un étron innommable. Qui se finit sur un arc en ciel, LOL. Ni fait, ni à faire, c'est laid, c'est long, c'est con. Je ne sais pas du tout ce qui est passé par la tête d'Aronofsky, et je n'aurai pas pensé que l'époque de The Fountain avait encore un avenir dans sa carrière, j'espère qu'il s'en éloignera de nouveau pendant quelques grands films mais en attendant je me méfierai comme de la peste de ses futurs projets.