Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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Je ne peux pas dire que je ne savais pas où je mettais les pieds. Il y a quelques mois, je suis tombée par hasard dans ma bibliothèque de quartier sur les deux premiers tomes d'un bande-dessinée sobrement titrée Noé qui reprenait vaguement le récit biblique pour en faire une épopée mâtinée d'héroïc-fantasy avec combats épiques, géants en goguette et une ode au do it yourself. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir quelques mois après que cette histoire allait être adaptée au cinéma, la bande-dessinée faisant office de storyboard de luxe. Ca a quand même une autre gueule quand c'est Russell Crowe qui incarne le prophète sauveur de l'humanité.

A l'écran, le film ressemble à un mix improbable entre Waterworld pour le côté écolo en combi de cuir, Pocahontas pour les combats au tomahawk , Transformers pour les géants en pierre boniches qui viennent des étoiles et 2012 pour les effets spéciaux apocalyptiques. L'histoire n'a plus grand-chose à voir avec celle que vous avez apprise au catéchisme (pour ceux qui ont eu la chance de passer des après-midis à faire du coloriage biblique) : ni tout à fait dans le passé, ni tout à fait dans le futur, dans un paysage volcanique très islandais, Noé et sa famille sont des écolos survivialistes extrémistes qui mangent des baies et qui font du camping dans des champs de lave, ignorants le reste des hommes qui se tape dessus pour récupérer les moindres parcelles d'orichalque-mana tout en dévorant à pleines dents des animaux vivants (oui, la guerre du feu n'a manifestement pas eu lieu, le barbecue n'a pas été encore inventé). Un jour, Noé a une vision de déluge et va voir son grand-père Mathusalem-Anthony Hopkins déguisé en père Fourras pour qu'il lui dise quoi faire. Ce dernier lui file une bogue et lui demande des baies, comme quoi être végétarien même si tu vis vieux rend particulièrement gâteux. Noé comprend alors qu'il doit construire un porte-conteneur en bois pour sauver les animaux, seuls rescapés de la colère divine. Il est aidé pour cela par les géants-anges-ents qui viennent lui filer un coup de main une fois qu'il a fait repousser la forêt. C'est quand même un gros tas de bras cassés parce que cela leur prend dix ans pour y arriver, la barbe de Russell Crowe a le temps de blanchir, sa fille adoptive de se transformer en Hermione Granger toujours aussi mal coiffée et sa femme ne prend pas une ride, car c'est Jennifer Connelly. Et quand la pluie commence à tomber, Noé est bien décidé à fermer les portes de son arche, sans laisser personne d'autres que les animaux rentrer (oui, même les serpents sont prioritaires). Faut se méfier des végétariens, ils en ont gros sur la patate.

Dans la filmographie de Darren Aronofsky, ce Noé est clairement dans la continuité de The Fountain, même processus créatif (bande-dessinée puis film), mêmes obsessions mystiques (arbre de vie, bogue, plantes qui poussent en stop-motion, spirales), mêmes plans des personnages qui se découpent en ombres chinoises mais alors que The Fountain restait un drame intimiste bricolé avec les moyens du bord parce qu'ils n'ont pas eu le budget escompté, Noé, avec le double de budget (130 millions quand même) peut se payer des effets spéciaux et les batailles épiques dont rêvait Aronofsky pour The Fountain. Mais le résultat est quand même très inégal, transformer un mythe biblique qui tient en quelques paragraphes en épopée d'héroïc-fantasy de deux heures et quart est assez dangereux, et mécontentera à la fois les intégristes et les athées car il a le cul entre deux chaises : empreint d'un mysticisme qui semble tiré d'un ouvrage scientologue de Ron Hubbard (Adam et Eve sont des aliens lumineux quand même),le retour inopiné au texte biblique devient grotesque (tout le passage final sur l'ivresse de Noé qui fait une dépression post-archum et la malédiction de Cham tombe comme un cheveu sur la soupe), la référence aux lanières de prières juives (ou téfilin) qui seraient à l'origine la mue du serpent qui jadis tenta Eve à manger des pommes Royal Gala est redondante en plus d'être bizarre. On a brûlé des gens sur des bûchers pour moins que ça, c'est moi qui vous le dit. La critique devrait néanmoins incendier ce film, si tout va bien.

Cela dit, je ne jette pas la pierre à ce film, la lapidation étant aussi malheureusement passée de mode, car il m'a permis d'avoir deux révélations existentielles : d'une part, que nous descendons tous d'Hermione Granger avec des dreads-locks, donc l'humanité ne peut pas être fondamentalement mauvaise, et d'autre part que Dieu est un lens flare arc-en-ciel. J.J. Abrams est donc son prophète. Alléluia !
Socinien

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