Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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Un drame familial shakespearien déguisé en blockbuster porteur de messages universels et intemporels

Le "Noé" de Darren Aronofsky tend plus vers le drame familial shakespearien agrémenté de discours environnementaliste, semi-religieux et humaniste qu'à un blockbuster épique bourré d'effets spéciaux, et c'est à cela que le film doit sa réussite. Des messages porteurs, une interprétation personnelle et juste du récit biblique, le tout agrémenté d'un style visuel unique et de la magnifique performance de Russell Crowe, font de ce "Noé" un film grandiose et adressé à tout le monde, croyants comme athées !

De nos temps, rares sont les cinéastes qui s'aventurent à adapter au cinéma les récits bibliques, souvent injustement contestés. Les religieux y voient souvent un détournement des saintes paroles, tandis que les athées rejettent d'emblée ce genre de processus. Pourtant la religion est une source d'inspiration essentielle et riche dans bien des domaines qu'il ne faut pas négliger, car derrière tous les symboles et récits fantastiques se cachent des valeurs humaines que l'homme – même athée – s'acharne à défendre depuis bien longtemps, parfois en les interprétant mal et en donnant lieu à des guerres, parfois en en tirant le meilleur et en faisant ce que l'on appelle "le bien" autour de lui. Or, cette année, nous avons droit à deux récits bibliques très célèbres : "Noé" de Darren Aronofsky et, prochainement dans les salles, "Exodus : Gods and Kings" de Ridley Scott !

Bien des gens connaissent l'histoire de "Noé", cet homme qui, informé par Dieu, apprit qu'il devait sauver un mâle et une femelle de chaque espèce animale vivant sur Terre et de les rassembler dans une grande arche pour leur permettre de survivre au grand déluge. Si le récit a tout d'une aventure épique sur l'amour et le partage des espèces, bien qu'à la crédibilité incertaine, Darren Aronofsky préfère délaisser quelque peu le sensationnalisme pour se focaliser avant tout sur le personnage de Noé et sa famille afin d'aborder cette épopée avec un aspect humain. Le résultat tend plus vers le drame familial que le péplum à grand spectacle, et c'est particulièrement ce qui fait de ce "Noé" une adaptation réussie et adaptée à notre époque.

Russell Crowe nous livre une interprétation très forte de Noé, un être respectant la volonté de Dieu, mais conscient qu'il va laisser périr des milliers d'êtres humains en les refusant dans son arche. Noé est à la fois quelqu'un de bien mais également un être détestable, comme nous le découvrons vers le 3e acte. Opposé à lui, on retrouve Tubal-Cain, l'ennemi de Noé incarné par Ray Winstone, un homme qui ne jure que par la survie de l'espèce humaine et qui a abandonné depuis longtemps sa croyance en un Dieu protecteur. Chacun de ces deux personnages peut être caractérisé de manière très simple, car tous deux sont en fin de compte des figures schématiques issues de la Bible pour illustrer un message, une image qu'elle veut nous faire passer. L'opposition entre Noé et Tubal-Cain va cela dit bien au delà de la simple confrontation entre Bien et Mal, ou entre Croyant et Athée comme les mauvaises interprétations pourraient le laisser entendre. Bien au contraire, il s'agit là de l'opposition entre deux conceptions totalement différentes de la Vie : d'un côté une personne qui veut vivre en harmonie avec le monde et la nature qui l'entoure, y compris Dieu en acceptant qu'il y en ait un, et qui de fait renonce à certains choix et à certaines envies, de l'autre une personne profondément humaniste (ou égoïste) défendant l'intérêt humain et le libre-arbitre. Aucun des deux côtés n'est totalement noir ni totalement blanc. L'interprétation que Darren Aronofsky tire de l'aventure de "Noé" – certes une interprétation qui sera jugée discutable par les experts – s'avère être une vision très juste et intemporelle sur le monde et les gens qui nous entourent. En fin de compte, cette histoire pourrait avoir lieu tant dans le passé que dans le futur, car il s'agit là d'une image porteuse d'un message sans âge!

Ainsi donc, à travers le récit de "Noé", Darren Aronofsky adresse plusieurs discours (environnementaliste, humaniste...), en interprétant ce passage de la Bible de la manière la plus plausible qu'il soit pour notre époque. Cela dit, c'est au troisième acte que le contenu augmente en puissance et en drame. Alors que Noé et sa famille ont survécu au déluge et voguent sur l'Arche, celui-ci apprend que Ila (Emma Watson) attend un enfant de son fils, ce qui n'étais pas prévu dans ses plans ni dans ceux dont Dieu lui avait fait part en vision. Le 3e acte laisse donc place à une tragédie shakespearienne où Noé, devenant fou de rage, décide mais hésite de tuer le futur nouveau-né à sa naissance. Pour éviter de spoiler la fin du film, je me contenterai de souligner le magnifique message qu'Aronofksy nous délivre lors du dénouement de même que l'excellence du jeu de Russell Crowe, qui décidément parvient à rendre le personnage de Noé psychologiquement très crédible et fort.

Ce récit biblique figuré est ainsi donc l'occasion pour Darren Aronofsky d'exposer à un large public un message universel et intemporel qui vaut autant pour les croyants que pour les non-croyants. Se rapprochant de son style visuel précédemment vu dans "The Fountain", le réalisateur nous offre une œuvre grandiose et dotée d'une mise-en-scène unique, tant en matière d'effets spéciaux (les "anges de roc déchus") que de choix de représentations (l'évolution d'une espèce représentée à travers une séquence d'images en time-lapse). Si l'histoire se montre par moments prévisibles et que le style pourrait déplaire à certains, c'est au final un film conceptuel aux dimensions réalistes très réussi qu'Aronofsky nous offre là.
Ciné-Look
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le 2 août 2014

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