De la fantasy au thriller
Qui ne connaît pas l’histoire de Noé, cet homme construisant une arche pour survivre au déluge que compte infliger Dieu sur la Terre ? Vivant avec sa famille en marge des civilisations, Noé sera soudainement pris de visions, annonçant l’Apocalypse, et devra dès lors assurer le futur du monde en protégeant ses proches, et surtout les animaux. Sa mission, il la suivra à la lettre, mais devra-t-il renoncer à son humanité pour autant ?
Trois ans après le prodigieux Black Swan, Darren Aronofsky revient pour un long métrage qui, à peine sorti, faisait couler beaucoup d’encre. La faute à son sujet, forcément. Comme pour Cecil B. DeMille en son temps, avec Les 10 commandements. La Bible, il ne faut pas. Surtout pour en faire un gros blockbuster bien américain qui dure deux heures et quart, avec ses rajouts et ses effets spéciaux démesurés, là où l’histoire de Noé ne dure que quatre chapitres. Qu’en est-il finalement ? Et bien c’est exactement ça, mais dans tous les bons sens du terme.
Noé n’est pas un autre film à grand spectacle sans saveur, ringardisant ses personnages et voulant en mettre plein la vue à la moindre occasion. Non, le film du prodigue Aronofsky se résume en un seul mot : puissant. Tellement puissant que l’on a parfois l’impression de se retrouver devant un film d’heroic fantasy : des Golems de pierre, des gens qui vivent mille ans, un chevalier réduisant une armée en cendres en un seul coup d’épée enflammée… On assiste effectivement à un spectacle grandiose pour qui arrive à adhérer au monde, sans oublier pour autant la base de tout bon récit : ses protagonistes.
La complexité de l’âme humaine est au cœur de l’histoire, avec les tourments et les choix radicaux de Noé, provoquant la colère chez certains ou le culte chez d’autres. En ça, la démonstration est un peu poussive, surtout à cause de Tubal-Caïn (interprété grossièrement par Ray Winstone), personnage allant à l’encontre des décisions du héros. Cependant, ça n’enlève en rien l’immersion dans le film, et ce pour une raison inattaquable : Russel Crowe.
L’acteur nous ressort du Maximus qui te fracasse, te tord, t’émoustille, et te laisse lessiver à la fin de la projection. Il est parfait. A la fois tendre en père et mari aimant, et cruel en serviteur de Dieu, Crowe bouffe la pellicule et fait de l’ombre à tous ses partenaires. Même quand il n’est pas à l’image, on sent encore sa présence. Par ailleurs, Jennifer Connelly reste parfaitement dans son rôle, tout en retenu, et Hermione (pardon Emma Watson…) prouve une fois encore son potentiel incroyable pour devenir une monstrueuse actrice.
Visuellement très bon (malgré ça et là des petits soucis numérique, principalement sur les animaux), Noé se trouve être deux films en un. Pour celui ou celle qui attend l’incroyable scène du Déluge, ne comptait pas à ce qu’elle dure vingt minutes, loin de là. L’important se déroule avant, et après la catastrophe. D’abord, on nous propose la partie Divine, mystique : les visions de Noé, les Veilleurs et leur création (scène magnifique !) ou encore Mathusalem et ses étranges pouvoirs. C’est beau à regarder, et l’action est bien présente. Passé l’Apocalypse, le film change radicalement de ton pour se focaliser exclusivement sur l’Humain, ses choix, ses limites, sa cruauté morbide, sa violence. Une sorte de thriller huis-clos qui instaure un malaise des plus inattendu.
Et pour conclure, la BO de Clint Mansell (compositeur attitré d’Aronofsky) nous fait frissonner, une fois de plus. Ses musiques ont une âme, elles accompagnent à la perfection toutes les scènes du film.
POUR LES FLEMMARDS : Le côté fantasy spectaculaire qui sombre dans la noirceur humaine, la prestance implacable de Russel Crowe ou encore les musiques fabuleuses font de Noé un film qui se démarque largement d’un énième blockbuster fade.