La situation économique, le sentiment de communauté, les grands espaces tour à tour opulents et désolés. Aucun doute, il s'agit bien là d'un portrait en creux des Etats-Unis d'Amérique et de leur esprit contradictoire. Celui qui célèbre à la fois l'esprit des pionniers et leur héritage, pour ensuite montrer un visage moins reluisant : celui qui crée des trous noirs poussant un peu plus, un jour après l'autre, des franges entières de sa population vers la marge.
Nomadland, c'est cette marge qui a décidé de prendre la route. Contrainte. D'un certain âge aussi. Fern en est l'un des symboles. Le sourire discret au coin des lèvres, la bonté en bandoulière et le courage au coeur. Mais il y a aussi derrière cette façade une certaine mélancolie, une résignation. Ou une résilience.
Ceux qui disent qu'il ne se passe rien dans Nomadland, en forme de documentaire, sont donc passés à côté de l'essentiel. Comme ceux qui y ont vu un porno de la pauvreté. Car il n'y a jamais de pathos. Jamais de détresse chez Fern et ses compagnons d'odyssée. Ni de plainte sur ce qu'ils ont perdu ou ce qu'ils n'ont pas. Car le peu qu'ils ont, ils le mettent en commun. Dans une fraternité nomade qui force le respect et qui ne peut que faire réfléchir.
Oui, Fern a tout perdu. Ou au moins, son époux, sa maison, sa ville devenue fantôme de western. Mais Fern est un esprit libre qui a sublimé ses blessures et sa solitude. A l'image de tous les humbles qu'elle côtoie sur les aires de stationnement ou encore à l'occasion des petits boulots ingrats et précaires que ces invisibles exercent presque au jour le jour.
Oui, Fern vit dans son van décati, qui crève et qui rend l'âme. Mais elle ne saurait vivre ailleurs. Elle questionne dans sa volonté de se passer des attaches classiques de la famille, sa soeur en particulier, ou encore son soupirant, un David Strathairn tout aussi maladroit qu'émouvant.
Elle fait réfléchir dans son incapacité à prendre le chemin inverse. A garer son van pour poser ses maigres bagages ne serait-ce que quelques jours.
L'héritage des pionniers, auquel il est fait plusieurs fois référence durant le film, renvoie donc à un fantasme, une figure décharnée, un concept romantique qui cache le fossé social qui se creuse, sur un fond de grands espaces mythique conservant leur horizon, cette fois-ci blafard. Toile de fond d'une errance mi subie, mi consentie. Une errance qui finit par tourner en rond au gré des petits boulots saisonniers, au gré des états traversés.
Frances McDormand étonne, émeut, semble parfois se perdre un peu dans sa quête aux accents spirituels, semblable à ces milliers (millions ?) d'autres qui se croisent sur la route au gré d'une civilisation dessinée comme exsangue et qui marginalise la fin de vie, la délaisse, la rend invisible.
Ainsi, loin de la pauvreté montrée du doigt, c'est le sentiment de solitude qui, parfois, traverse l'écran. Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne se passe rien de Nomadland. Car c'est cette communauté qui est mise en avant. C'est cette vie intérieure qui est dépeinte entre force et blessures silencieuses.
Hissée en sentiment d'universel.
Behind_the_Mask, Autant en Emporte le Van.