Non ma fille, tu n'iras pas danser par Astrobokeh
Je pense pour ma part que le personnage de Léna est plus rendu passif qu'il ne l'est réellement. Sa famille lui renvoie en effet sans cesse l'image d'une adulescente déboussolée, alors que fondamentalement elle aspirerait plutôt à être une chef de clan. Si paradoxalement elle a du mal à assumer son rôle de mère, c'est qu'elle se montre indépendante, et se braque dès que quelqu'un cherche à lui dicter comment reconstruire sa vie. Ce qui peut apparaître pour de l'inaction me semble, par conséquent, une manière pour elle d'ériger un rempart, d'échapper à une violence qui est latente et sous-jacente... Le ton qui monte avec le mari, (ambigu, culpabilisant, et à l'origine de l'égarement de Léna), les portes qui claquent, (sans faire de bruit puisque les départs se font dans la discrétion), le ressentiment face à des trahisons qui se multiplient, (et une famille envahissante qui lui fait indéniablement payer le départ du mari), les rapprochements avortés avec son « jeune » amant, les relations tendues et rendues équivoques par son ex-mari, sont autant d'avatars d'une violence qui reste muette jusqu'à l'accident du fils, où Léna subit alors, tout en ayant provoqué.
Si Léna semble dans la retenue, c'est à mon sens que face à ce regain de frustration accumulée, face à cette vie que finalement on lui refuse, elle se veut consensuelle sur la forme et proscrit tout accès de violence. En substance, on lui serine qu'elle se doit d'être une mère exemplaire, qu'elle se doit d'accepter sans sourciller les aides imposées des uns et des autres (même si elle les sait pertinemment néfastes). Sûre d'elle, elle résiste, donne le change pour ménager un tant soit peu les susceptibilités de ses proches, et peu à peu s'emmure. D'entêtée qu'elle était déjà aux yeux de sa famille, la voilà un peu plus victime d'un regard qui la façonne, et qui, peu à peu, l'isole maintenant dans une folie versatile dont elle finit, par instant, par se laisser convaincre. Heureusement Léna est forte, et si elle craque, c'est là encore dans la réserve. Économie de larmes donc, pour cette jeune femme a priori si sensible. Là encore, le décalage semble grand entre l'errance toute enfantine de la mère fragilisée, qui perd peu à peu la notion des normes, la notion des convenances, (désemparée, elle voudrait s'adjoindre la compagnie d'un fils érigé au rang d'adulte, quitte à manger avec lui à la cantine), et la femme réfléchie, et donc glaciale, qui prend le parti de refuser... Refuser l'appel du vide, (les assauts du diable ?), et la chute de la fenêtre mansardée, alors qu'elle est a priori en proie à la détresse la plus profonde, incapable d'appréhender le bien-fondé de ses prises de décision. Se refuser à l'amant aussi, et par là-même aux hommes, incarnation d'un paternalisme tour à tour mièvre ou inquisiteur.... Pour se reconstruire, Léna doit refuser les compromis, elle l'a bien compris. Telle Katell, la jeune nymphe de la légende bretonne, elle se trouve incapable d'aimer, irrémédiablement happée par le diable, incarnation allégorique de ses états d'âmes les plus noirs. Elle ne peut pour l'instant être mère et femme à la fois. Il lui faut donc à nouveau être forte, entière voire excessive, (quitte à semer «une nouvelle fois» le trouble autour d'elle), si elle veut s'émanciper des regards condescendants et s'absoudre des reproches à mots couverts ; n'ayant pas vendu son âme au diable, cette décision sans contrepoids reste son seul salut.
Loin des topiques un film qui remue, nous chamboule, nous inonde d'un tourbillon émotif fort, intimement secret, sans artifice, ...authentique.