Que vois-je ?
Premier film du cinéaste marginal Quentin Dupieux, "Nonfilm" est une entrée en matière d'un genre exclusif, celui de l'apologie de l'absurde et du non sens, qui sera la marque de fabrique du...
le 1 sept. 2014
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Nonfilm est de ces films ou oeuvres en général qui nous font questionner les limites de l'art, qui flotte dangereusement entre le n'importe quoi du fumiste et le génie verlainien ("Rien de plus cher que la chanson grise où l'Indécis au Précis se joint"). On ne saurait dire si ces plans anarchiques, caméra sur l'épaule sont voulus ou non. S'ils ont un sens, s'ils n'en ont pas, s'ils ont en ont en n'en ayant pas.
En fait, Nonfilm, c'est une Fontaine de Duchamps, une Fille au ballon de Bansky, un oeuf de Colomb type Sleep de Wharol, type Eden, Eden, Eden de Guyotat, un Souffle de Beckett, un 4:33 de John Cage. Une oeuvre qui vaut surtout parce qu'il fallait bien que quelqu'un ou quelqu'une ose la faire.
C'est aussi un film qui fait du spectateur le véritable artiste au risque d'apparaître comme une sorte de pâte non finie que le spectateur modèlera de façon à faire une oeuvre digne de ce nom. Par voie de conséquence, ce film a surtout la valeur que le spectateur lui prête. C'est un 0 que Frenhofer change en 10. C'est un 0 qui peut rester un 0.
Alors comment votre alchimiste préféré peut-il changer cette boue en or pour justifier sa note ?
Nonfilm, c'est un peu Ainsi soit-il de Chédid. Une belle métaphore de la vie dans laquelle on se voit projeter sans bien la comprendre. Passé l'enfance, on la comprend. Puis on la comprend plus. Insensée, on la présente comme pourvue d'un sens. Alors, on joue à lui en trouver un. Mais lorsque tombent les convictions, lorsque le schéma social s'effrite, lorsque le bon sens se diluent, lorsque les croyances disparaissent ... que reste-t-il ? Le To be or not to be. L'instinct de survie qui fait avancer encore lorsque le sens n'est plus là. Avancer jusqu'à se trouver seul dans le non-sens commun et hurler dans le désert des conscience: "Y'aurait-il un sens à l'existence ?"
Lu ainsi, Nonfilm est une Nonvie dans un Nonsens, une errance dans un désert de signifiance. Il est le cri mi-cynique et amusé, mi-angoissant et désespéré d'un jeune des eighties qui ne comprend plus le monde dans lequel nous évoluons et fait le triste constat de son manque de sens.
Nonfilm, ainsi soit-il, tel est le nom du film.
Nonfilm, ce peut-être aussi Les Clefs de la bagnole: Origins.
Une sorte de Nouveau Roman mais au cinéma. Un film narrant moins l'histoire d'une aventure que l'aventure du histoire. Et d'en profiter pour bien caricaturer la façon d'être des cinéastes, des vedettes. Et de s'amuser à bien faire voler les codes en éclats, à l'image de cet acteur malgré lui qui, par maladresse, tue le réalisateur et les caméramans. La métaphore des règles encadrant un film que le film expérimental rejette violemment pour faire un film autre, nouveau, original.
Et c'est l'impression que l'on a en voyant débarquer le générique de début au bout de vingt minutes de film. Le réalisateur expérimental serait cet homme laissé seul dans le désert, appelant en vain à faire un film. Cet homme qui fait un film pour faire un film et qui se soucie peu de la réaction que les gens pourraient avoir en le visionnant. Nonfilm serait alors un film expérimental parlant des films expérimentaux. Un Métafilm.
Le problème, c'est justement le ton moqueur vis à vis de la figure de réalisateur expérimental. C'est cette destinée grotesque qu'on lui offre en fin de film. C'est aussi l'usage de l'absurde pour poser l'idée d'un film non filmé qui est pourtant filmé puisqu'on le voit. C'est aussi l'acte révolutionnaire consistant à jeter de façon anarchique le générique dans un passage inopiné du film pour achever le film sur un sage générique de fin bien scolaire.
Tout cela fleure bon l'escroquerie intellectuelle tout de même ...
Nonfilm est en réalité un Nonnonfilm qui a la prétention d'une expérimentation qui ne se manifeste que partiellement ou qui apparaît dans le choix de plans chaotiques censés mimer la perte du sens.
Nonfilm, finalement, c'est un film soit très bête soit très intelligent, auquel on peut dire oui, auquel on peut dire non.
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Créée
le 11 oct. 2018
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