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Avec Get Out et Us, Jordan Peele a su marquer de son empreinte le cinéma d’horreur contemporain avec un humour et une angoisse qui servent à appuyer son traitement des thématiques raciales. Nope continue dans cette lignée, tout en ajoutant une dimension méta bien pensée à notre rapport à l’image, au spectacle, et en abordant l’hubris humain dans sa propension à vouloir dompter tout ce qu’il croise, y compris ses semblables.
Tous les enjeux du récit tournent autour de ce dernier point: le gagne-pain des protagonistes qui vivent de l’exploitation de chevaux, en passant par les flashbacks parallèles sur le massacre du chimpanzé Gordy, la tentative de mater la bête extraterrestre qui habite la vallée, ou les relents ségrégationnistes qui hantent OJ et son histoire familiale dans l’industrie Hollywoodienne écrasante dont le portrait dépeint ici n’est pas reluisant. Mais le constat est sans appel : “You can’t put a party hat on a wild animal”. L’humain étant ce qu’il est, il n’apprend rien de ses erreurs et les perpétue ad infinitum.
Dompter passe tant par l’acte physique que par l’idée de capter l’image, d’emprisonner sur la pellicule une entité qui ne saurait l’être. Que ce soit pour un art à la mystique galvaudée, pour la gloriole des réseaux sociaux, pour affronter un trauma passé, ou par pure cupidité, tous les personnages voient en la créature céleste une opportunité, quand bien même celle-ci leur fait rapidement comprendre qu’elle n’est là qu’en qualité de prédateur. On veut filmer ce que l’on ne peut pas regarder, et qui nous toise de son œil buccal aux apparats d’objectif, rendant le perfect shot inatteignable. Une bêtise qui se comblera en inévitable trépas pour tous, sauf pour ceux qui ont compris qu’il n’y avait plus matière à jouer avec la nature, et qu’il fallait se concentrer sur les relations qui nous lient, forgeant ainsi des figures qui dépassent le cadre du réel, tel un cavalier solitaire dans la brume.
Peele embarque avec lui son passif de sketchs en même temps que ses faits d’armes sur ces précédents films pour livrer une œuvre dont la tonalité mêle astucieusement horreur, comédie noire et science-fiction. Un décalage face à l’atroce qui fait office de signature du réalisateur. A côté de ça on a une galerie de personnages attachants et cohérents, avec en tête ma relation frère-sœur palpable portée par Daniel Kaluuya parfait dans le blasé cartésien et Keke Palmer en pile survoltée qui fuse dans tous les sens. Les rires se mêlent aux moments dérangeants (la digestion, la reconstitution de l’incident de la sitcom), tandis que la créature se révèle petit à petit sans cacher ses références (Jaws, Close Encounter of the Third Kind…). Une créature au design original, brouillant initialement les cartes dans sa forme de soucoupe volante classique avant d’ouvrir ses voiles et de révéler une méduse aérienne dont le rugissement est le cri de ses victimes, à l’instar du terrible ours d'Annihilation.
Nope est une constante lettre d’amour pour le cinéma de genre, un film dont le cool ne se la raconte jamais, porté par ses personnages, sa photographie, et son discours travaillé. Troisième long pour Jordan Peele, troisième réussite, l'œuvre inscrit bien le cinéaste comme un des auteurs les plus stimulants à suivre actuellement.