Nope est un film de traque à la Dents de la mer avec un putain d'UFO dans le ciel - doublé d'un twist sur ledit UFO - teinté de touches d'horreur, de comédie et même de western. C'est un excellent blockbuster original - et on sent progressivement que le public est prêt à redonner une chance à des blockbusters différentes des marveleries habituelles, comme le succès qui a été réservé à Top Gun : Maverick... Donc si vous voulez un film de science-fiction/horrifique/comique/western dont la structure narrative ressemble énormément aux Dents de la mer, foncez voir Nope ! Je vous promets que vous ne serez pas déçus.
Passons maintenant à l'analyse (ATTENTION SPOILERS) :
En premier lieu, revenons sur la métaphore animale. Jordan Peele ne parle que de domestication de la sauvagerie au long de ses films : domestication du racisme de Get out de la famille blanche, proprette au premier abord avant de se révéler sauvage, domestication de la sauvagerie personnelle et de nos tares intérieures dans Us avec les doppelgängers, et ici domestication de l'instinct animal. Le film renverse le traitement des Ufos habituels : la soucoupe volante passe d'objet de fascination à une peur viscérale petit à petit. Le film fait un parallèle entre Gorky et l'UFO : les deux semblent d'abord pouvoir êtres domestiqués et approchables, avant de révéler leur nature profonde de violence primaire. Nous remarquons d'ailleurs que Gorky et l'UFO sont en images de synthèse, contrairement aux chevaux : Jordan Peele intègre dans la création même de son film le fait même que certaines créatures sont domptables, comme les chevaux - et c'est pour ça qu'il ne se passe rien avec eux - et d'autres non. Il y a donc une certaine critique de la création de l'image dans Nope, puisque c'est littéralement le fait de regarder des UFOS qui devient une source de danger. La scène avec Steven Yeung dans le simili-cinéma est une critique de notre instinct voyeuriste et de notre société du spectacle, qui pousse à marchandiser la création d'images spectaculaires. Créer des images extraordinaires, et notamment avec un singe, se paie au prix d'acteurs traumatisés - la fille à la mâchoire brisée. Le film critique notre manière de considérer que l'homme peut tout domestiquer, et renverse cette toute-puissance - le check entre le jeune asiatique et le singe est illusoire et tâché de sang... Nous remarquons également que les personnages ne retiennent pas la leçon et sont obsédés par l'idée de faire des images, que ce soit les frangins, le technicien qui vient les idées mais également le réalisateur auxquels ils font appel et qui se suicide littéralement et artistiquement. La société du spectacle, dans sa démesure, est tâchée de sang - il y a là une analyse méta de la société du spectacle (et l'obsession pour Oprah).
C'est comme ça que nous pouvons lier les animaux au rapport au cinéma de la famille Haywood, et qui nous amène logiquement sur la thématique de l'exploitation des noirs. On sait que c'est un thème qui travaille Jordan Peele, et je pense qu'il faut creuser dans cette direction. Je pense qu'en effet, Jordan Peele sous-tend dans ce film que les Noirs n'ont jamais réellement créé leurs images dans l'histoire du cinéma. Si on revient aux première images du cavalier noir par l'une des premières caméras historiques, la sœur jouée par Keke Palmer précise bien que le réalisateur de ces images est très connu, contrairement au cavalier lui-même, comme si les Noirs avaient été relégués à un rôle périphérique dans l'histoire du cinéma. Le parallèle sonore entre Haywood et Hollywood appuie cette idée. Or, on remarque qu'à la fin, la scène se reproduit : un chef opérateur brillant et blanc, avec une ancienne caméra, filme Daniel Kaluuya glaloper sur le chemin - comme la scène originelle. Comme si le cinéma était réservé aux Blancs déjà installés. Sauf qu'à la fin, le chef opérateur meurt par hubris, et c'est finalement Keke Palmer qui crée sa propre image de l'UFO avec l'un des fusils de Tchekhov les plus subtils que j'ai vu depuis longtemps pour aller chez Oprah : le photobomb. La boucle est bouclée, et les Haywood ont créé leur propre histoire - ce qui est également une thématique propre au Western dont est inspirée le film. Au passage, le Photobomb délivre plusieurs images successives, comme les anciennes séquences de cinéma prises par les premières caméras à pellicule : Keke Palmer a réellement créé une séquence cinématographique à la fin.
Si j'ai des réserves sur une lecture communautaire de l'histoire, je dois avouer que Jordan Peele le fait si bien que je ne peux qu'être admiratif.