Petit film mexicain s'arrêtant sur le quotidien de quatre personnages du village de Tijuana, dont l'un d'eux, Andrès, décide de passer la frontière qui sépare son pays des Etats-Unis ; "Norteado" déroute et étonne d'abord par un prologue qui oscille entre deux styles de mise en scène bien définies et totalement antinomiques : celle de la caméra portée et qui colle aux personnages pour faire documentaire, et soudain, de brusques trouées d'air, de longs plans fixes contemplatifs qui travaillent à la recherche de la place d'un personnage dans le plan. Le film abandonnera très vite cette alternance là par la suite, restant sur l'option d'une mise en scène plutôt naturaliste, mais j'avoue que cette ouverture magnifique et troublante, qui s'étire en longueur comme le parcours de son personnage, est proche de m'emballer beaucoup.
Le film n'est pas avare de surprises, plutôt bancal, mais d'un bancal doux et beau, d'une bizarrerie claire et précise : parce que sa mise en scène réaliste et documentaire ne va jamais de pair avec la trame de l'histoire racontée, dont les déviances fantasmagoriques et très écrites à la fois se libèrent tranquillement du dispositif qu'il installe. "Norteado" se situerait plutôt vers le conte, la fable, qui part d'un regard très tendre sur le quotidien pour se diriger vers quelque chose de plus burlesque, doucement pince-sans-rire, pas du tout réaliste. Ce que je trouve beau dans le film, c'est qu'il ne prétend pas brasser milles idées, n'a aucune ambition militante, aucun discours politique sur la situation de son personnage contrairement à ce que la caméra pourrait amorcer. Il ne raconte ni l'histoire d'un pays (le Mexique) ou d'un passage vers un autre pays (les Etats-Unis), juste l'histoire d'un itinéraire immobile, d'une dernière bouffée d'air avant de se lancer. C'est le saisissement d'une respiration, d'une stase, d'une attente, d'un adieu à la chaleur des amis avant de lancer dans le vide, et de s'en faire d'autres peut-être. Quatre personnes filmés avec une dignité extraordinaire, qui se rencontrent et vont apprendre à se manquer.
"Norteado", ce n'est "pas grand chose", mais un "pas grand chose" de bon goût et de tendresse absolue envers ses personnages. Et c'est déjà a peu près tout.